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poursuivi la suppression de la traite? Si la question était posée successivement à tous les cabinets européens, pas un d’eux ne la résoudrait contre le royaume-uni. La réponse est d’ailleurs écrite dans le rapport fait à la commission maritime de la conférence le 17 février 1890 par un plénipotentiaire russe qu’on ne peut soupçonner de partialité[1]. L’Angleterre a tâche de concilier son propre intérêt avec l’intérêt général. Oui, sans doute: n’est-ce pas ce que, de son côté, cherche la France et ce qu’on reproche précisément à ses plénipotentiaires de n’avoir pas fait? Il s’agit donc d’apprécier si nous avons, en effet, travaillé pour autrui.

Certes, ceux qui préparèrent ou décidèrent la réunion de la conférence ne se proposaient pas de subordonner les intérêts français aux intérêts britanniques. Pour le pape Léon XIII, la France est toujours la fille aînée de l’Église, et l’on ne voit pas quel intérêt le saint-siège aurait à gêner au profit de l’Angleterre l’expansion de notre influence. On peut reprocher au cardinal Lavigerie certaines hardiesses de langage, mais personne ne contestera son patriotisme : il aime la France, il la veut forte et respectée. Le roi des Belges a travaillé pour l’humanité, non pour l’Angleterre. L’événement a-t-il donc déjoué leurs prévisions? Mais on ne peut oublier que les puissances représentées s’étaient accordées pour confier aux plénipotentiaires russes le soin de coordonner les propositions des uns, les contre-propositions des autres. De chaleureux remercîmens leur furent adressés le 17 février 1890 par les représentans de la Belgique, de la France, de l’Angleterre, de l’Allemagne, de la Turquie, et le prince Ouroussow, premier plénipotentiaire, crut devoir répondre, en s’effaçant lui-même avec une grande modestie, que l’honneur du travail revenait à M. de Martens. Or ce dernier, qui, sur le terrain du droit public maritime, figure au premier rang parmi les maîtres, n’était pas homme à se laisser jouer par les plénipotentiaires anglais et mesurait très exactement la portée du règlement sur la répression de la traite maritime, qu’il fit voter par les dix-sept puissances signataires. Il est encore moins aisé de supposer que les plénipotentiaires russes aient, de parti-pris, sacrifié dans cette conjoncture la France à l’Angleterre. On voit bien ce que la Russie pouvait y perdre, mais non ce qu’elle y pouvait gagner.

A ceux qui voulaient absolument rapporter quelque chose de Bruxelles, il est d’ailleurs permis de répondre que nous n’en sommes pas précisément revenus « les mains vides. » C’est ce qu’un adversaire

  1. « Certes, personne parmi nous ne contestera les titres de gloire que la Grande-Bretagne s’est acquis sur ce champ de bataille, etc. »