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toutes les puissances financières italiennes, même de second ordre. II avait d’ailleurs à leur offrir d’autres spéculations. C’était d’abord celles qui consistaient à bâtir, dans les grandes villes, à y faire des embellissemens, surtout à Rome, à Naples et à Milan.

On vit alors se produire les faits que l’on observe généralement quand sévit la fièvre de l’agiotage. Les terrains à Rome atteignirent des prix insensés ; et l’on se mit à bâtir de tous côtés, sans songer à tenir compte des limites imposées par les besoins que pouvait avoir encore la population pour ses logemens. Les premiers constructeurs de maisons avaient été des gens sérieux, employant leurs capitaux. Mais bientôt ils firent place à une nouvelle couche d’entrepreneurs, le plus souvent sans son ni maille, vivant au jour le jour sans s’inquiéter du lendemain. Une anecdote à ce sujet est caractéristique. Un riche marchand de poutrelles en fer, à Rome, voit un jour se présenter à lui un cocher, qui l’avait quitté depuis quelques mois à peine. Il croit que c’était pour lui demander de rentrer à son service. Point, c’était pour lui acheter des poutrelles. De cocher il s’était fait constructeur, et sans avoir un sou vaillant, il construisait une grande maison !

Le procédé employé par ces gens était simple et ingénieux. Plusieurs banques avaient accaparé des terrains à Rome dans l’espoir de les revendre fort cher. Cela n’étant pas facile argent comptant, elles se contentaient de les vendre à crédit. Ce qui leur importait le plus, c’était de faire croire, au moins, qu’elles réussissaient dans leurs spéculations, et de pouvoir ainsi distribuer des dividendes, plus ou moins réels, pour soutenir le cours de leurs actions, voire même le faire hausser. Un individu se présentait à ces banques, et achetait un terrain. Il y mettait le prix qu’elles voulaient. Il s’en souciait peu, puisqu’il ne le payait pas. Au contraire, il se faisait encore prêter une petite somme pour commencer à bâtir sa maison, le vendeur étant garanti par une hypothèque sur le terrain. Quand la maison commençait à sortir de terre, le constructeur se faisait prêter, soit par la même banque, soit par une autre, une nouvelle somme, qu’il garantissait en hypothéquant l’étage déjà construit. Avec cette somme il construisait un autre étage, et continuant ainsi de suite, il achevait sa maison. Le vendeur portait à son actif le prix du terrain, il présentait de beaux bilans à ses actionnaires, auxquels il faisait observer que ses créances étaient des plus sûres, grâce à la garantie hypothécaire. Les banques, qui faisaient des prêts tout aussi sûrs, disaient-elles, faisaient payer 6 pour 100 d’intérêt, et 1 pour 100 de commission, grossissant ainsi, au moins en apparence, les bénéfices de leurs bilans. Quant au constructeur, il vivait des bribes de l’argent qu’il maniait, et il était fort rassuré