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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 107.djvu/920

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Enfin, il y avait aussi des personnes qui croyaient qu’on n’en arriverait pas à une rupture commerciale avec la France, et que celle-ci devrait céder. Les mouvemens de l’opinion publique sont souvent contagieux, et ils égarent même les bons esprits. On est surpris en voyant un homme aussi intelligent et d’un esprit aussi cultivé que M. Luzzatti se bercer d’illusions au point de se persuader que la France aurait dû en passer par ce que voulait l’Italie pour renouveler le traité de commerce. Peut-être cet homme d’État a-t-il été induit en erreur par sa compétence même en matière de douanes. N’ayant pas l’énergie nécessaire pour résister au courant et pour demeurer dans l’opposition, il espérait, en jouant au plus fin, battre les négociateurs français qu’on lui opposerait. Et il croyait en outre avoir une arme très forte en main : la nécessité, qu’il supposait absolue pour la France, d’importer les vins et les soies de l’Italie. C’est dans ce même ordre d’idées qu’est conçue la communication faite le 5 avril 1888 au gouvernement français par l’ambassadeur d’Italie à Paris. Le gouvernement italien, disait-il, était obligé de répéter qu’il n’avait jamais admis la possibilité d’un retour pur et simple au traité de commerce du 3 novembre 1881, ni d’arrangemens qui auraient été équivalens à cette solution.

Mais en cette occasion M. Luzzatti a pour excuse son erreur même. Il était peut-être, parmi les hommes politiques qui traitaient avec la France, le seul ayant vraiment l’intention de conclure un nouveau traité. Il est vrai que M. Luzzatti ne sut pas prévoir les maux que le nouveau tarif douanier, dont il était le principal auteur, ferait fondre sur l’Italie. Mais, au moins, si d’autres ne se doutaient pas ou ne voulaient pas tenir compte des dangers qu’allait faire courir à l’Italie une rupture commerciale et financière avec la France, M. Luzzatti les voyait, et il espérait manœuvrer assez habilement pour les éviter. Même quand il eut échoué, il était persuadé que la faute en était exclusivement à la visite de M. Crispi à Friedrichsruhe, laquelle avait eu lieu juste au moment où les négociateurs italiens traitaient avec les négociateurs français.

Quant à M. Crispi, il est évident, ne fût-ce que par cette circonstance, qu’il n’avait nulle envie de renouveler le traité de commerce avec la France. Au reste, on a tout lieu de croire que des hautes régions de la politique où il plane, les questions économiques n’ont guère d’importance à ses yeux. Il paraît toujours persuadé que la prospérité économique et financière de l’Italie s’est accrue depuis son alliance avec l’Allemagne ; tout récemment encore, cela était répété dans un article qu’il a publié dans une revue anglaise.