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aussi considérables? Dans ce laps de temps, l’Italie n’a pourtant pas eu à souffrir les maux d’une invasion étrangère, ses vignobles n’ont pas été dévastés par le phylloxéra, ni ses troupeaux décimes par quelque épizootie, il n’y a eu ni tremblement de terre, ni inondations importantes, rien enfin, absolument rien, qui, en dehors des causes énoncées, ait pu appauvrir le pays.

L’accroissement des dépenses de l’État a contribué à aggraver la crise, mais ne l’a pas produite. Et, en effet, ce ne sont pas les dépenses du gouvernement qui ont empêché l’Italie d’exporter ses vins, ni ses autres produits, elles ont seulement soustrait au pays le capital qui aurait pu servir à mitiger les effets de la crise[1].

Ces faits sont tellement évidens qu’il est naturel de se demander comment le pays a pu non-seulement s’engager dans une aussi mauvaise voie, mais encore y persévérer après qu’il eût connu les désastres auxquels elle le conduisait.

Pour trouver la réponse, nous avons analysé la vie politique du pays, et nous avons vu que la perversion du système parlementaire a eu pour conséquence de sacrifier les intérêts de la grande masse de la population aux intérêts particuliers et aux passions d’un petit nombre de personnes fortement organisées, et ne reculant devant aucun moyen pour étendre leur influence et pour dominer le pays.

Les tentatives faites par des hommes appartenant aux partis les plus différens pour réagir contre ces funestes tendances sont demeurées jusqu’ici sans résultats bien appréciables.

L’extrême gauche a lutté vaillamment pour empêcher l’Italie de se mettre sous l’entière dépendance de l’Allemagne, et pour la rapprocher de la France. Le leader de ce parti, M. Cavallotti, dans son discours de Milan, a indiqué avec une rare netteté d’idées et d’expressions les maux économiques dont souffre l’Italie. M. Crispi, alors tout-puissant, les niait; et les hommes qui aujourd’hui sont au pouvoir approuvaient; et c’est grâce à leur appui qu’ont pu s’accroître ces mêmes maux, qu’ils disent maintenant vouloir guérir.

M. Cavallotti dénonçait aussi la fausseté des chiffres qu’on avouait à la nation comme représentant les dépenses de la malheureuse

  1. De 1888 à 1890, l’État a dépensé en tout 561 millions de francs en plus de ce qu’il aurait dépensé s’il avait maintenu le budget dans les limites de 1887. Or nous avons vu que, sur une seule catégorie de valeurs mobilières, le pays avait perdu plus de 609 millions. La perte résultant de la protection est encore plus considérable. Si les exportations avaient continué de 1888 à 1890 dans la mesure de la moyenne des dix années précédentes, elles auraient donné une plus-value de 507 millions. Mais ce n’est là que le moindre mal causé par la protection. Il faut tenir compte de la baisse des prix du vin et d’autres produits semblables, et de la destruction énorme de richesse faite par les industries protégées.