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aux protectionnistes, et risquant d’épuiser en détail le crédit conquis par quelques actes éclatans.

Que peut gagner, nous le demandons, le gouvernement à cette assez maussade aventure où il s’est engagé, à cette action judiciaire qu’il s’est cru obligé d’exercer contre M. l’archevêque d’Aix ? A quels mobiles a-t-il obéi ? Tout en vérité est disproportionné dans cette malencontreuse affaire qui ne répond à rien, ni au caractère du prélat mis en cause, ni aux dispositions témoignées depuis quelque temps par les principaux membres du gouvernement, ni à l’état moral de l’opinion. Le point de départ est certes des plus simples. Lorsqu’il y a un mois se sont produits à Rome, à propos d’une étourderie de quelques pèlerins, des incidens tumultueux trop visiblement préparés, M. le ministre des cultes, dans une pensée de prévoyance parfaitement avouable, a cru devoir s’adresser à l’épiscopat français et inviter les évêques à s’abstenir pour le moment de prendre part à ces pèlerinages qui pouvaient devenir un embarras. Que M. le ministre des cultes n’ait pas été compris ou que l’éclat donné à son invitation ait froissé des susceptibilités délicates, quelques évêques ont répondu sans déguiser une impression pénible. L’archevêque d’Aix, Mgr Gouthe-Soulard, particulièrement a adressé à M. le garde des sceaux une lettre un peu vive, si l’on veut, qui, dans tous les cas, n’était qu’un peu vive et n’avait d’autre inconvénient que d’offrir un facile prétexte aux radicaux impatiens de se déchaîner contre ce qu’ils appellent les « menées cléricales. » Là-dessus on a délibéré, on a décidé d’ouvrir une instruction, une poursuite, — bref, de faire un procès à M. l’archevêque d’Aix ; mais quel genre de poursuite, quel procès ? Qu’à cela ne tienne : par une subtilité de juriste on est allé rechercher dans le code pénal un article oublié punissant « l’outrage » adressé par « lettre non publique » à un « magistrat de l’ordre administratif ou judiciaire. » De sorte que du même coup, voilà M. le garde des sceaux, personnage politique, membre du gouvernement, transformé pour la circonstance en « magistrat de l’ordre administratif ou judiciaire, » et M. l’archevêque d’Aix appelé en prévenu devant la cour de Paris, — qui ne s’y attendait guère !

Eh bien, soit ! on peut convenir de tout. M. le garde des sceaux ministre des cultes n’a obéi qu’à une inspiration de prudence et de prévoyance toute politique en essayant de prévenir par sa circulaire de nouveaux incidens, en avertissant les évêques du danger momentané des pèlerinages. M. l’archevêque d’Aix, de son côté, loin de s’étonner d’une précaution salutaire, aurait pu mieux comprendre la pensée de M. le ministre des cultes et se dispenser d’écrire sa lettre pour défendre une liberté qui après tout restait intacte, un honneur épiscopal qui n’était pas mis en doute. C’est possible ; mais dans tout cela, où était donc la nécessité d’un procès ? Quelle raison y avait-il de faire