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appel à une juridiction imprévue, à une subtile et bizarre pénalité tombée en désuétude ? Le gouvernement n’a pas vu que s’il avait fait ce qu’il devait en sauvegardant sur le moment un intérêt politique, il dépassait le but par un procès ; il avait l’air de donner un supplément de satisfaction à des manifestations de ridicule gallophobie que le gouvernement italien a désavouées sans doute, qui n’ont pas moins offensé le sentiment français. Il s’est exposé de plus à prolonger inutilement un débat où M. l’archevêque d’Aix devait nécessairement être suivi et soutenu par les principaux représentans de l’épiscopat. Il a fait une affaire de ce qui n’était qu’un incident d’un jour. Au fond, il n’y avait pas de quoi provoquer tant de bruit, et la disproportion est d’autant plus sensible qu’il faut réellement des yeux perçans pour découvrir un outrage personnel à l’égard des hommes du gouvernement. Quoi ! parce que M. l’archevêque d’Aix se sera permis quelques vivacités, parce qu’il aura dit que la circulaire est un contresens, que la paix est quelquefois sur les lèvres des maîtres du jour et que la persécution est dans leurs actes, que « la franc-maçonnerie gouverne et commande, » c’est là un si grand et si irrémissible outrage ! Le gouvernement serait sans doute bien heureux si on ne lui faisait jamais d’autres sermons, si les polémiques n’avaient pas de plus cruels aiguillons pour lui. Il en a entendu bien d’autres sans songer à mettre la justice en branle ! Il n’y avait donc ni un intérêt extérieur à sauvegarder, puisque c’était fait, ni un outrage réel à réprimer.

Disons le mot. La vérité est que ce procès n’est qu’une tactique, que le gouvernement, à la veille du budget, sous le coup des menaces d’interpellation sur les « menées cléricales, » s’est senti inquiet, qu’il a cru désarmer les passions radicales en leur livrant un évêque. Chose singulière ! Depuis trois mois tout est à l’apaisement dans le pays. Le clergé et ses chefs se sont pressés sur le passage de M. le président de la république, des ministres, multipliant les témoignages de leur adhésion et de leurs sentimens patriotiques. Les ministres eux-mêmes n’ont cessé de parler de conciliation, de pacification. Ces jours derniers encore, lorsque le ministère a eu à défendre dans un intérêt national l’ambassade française au Vatican, c’est avec la droite qu’il a eu une majorité. Dès que les radicaux élèvent la voix et deviennent plus pressans, ce gouvernement, qui revient de Cronstadt, s’arrête et revient sur ses pas. Un jour, il parle de paix morale, d’intérêt national, un autre jour, il se hâte de payer rançon aux radicaux. Que gagne-t-il à cette tactique ? Il s’expose tout simplement à perdre par ses faiblesses à l’intérieur le fruit de ses journées heureuses, à compromettre, faute de comprendre son rôle et son pouvoir, l’ascendant qu’il avait reconquis pour la France dans les affaires du monde.

Qui donc pourrait se flatter de réussir à débrouiller le grand écheveau si bizarrement enchevêtré des affaires de l’Europe ? Le plus