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risque de paraître timorés et craintifs, à ne pas agir autrement en manœuvres qu’en temps de guerre et sur de véritables champs de bataille.

Qu’il soit fort difficile pour les commandans de corps d’armée, de divisions, de brigades ou de régimens de conduire leurs troupes comme si les canons et les fusils de l’ennemi étaient véritablement chargés, c’est ce qu’on n’imagine point au premier abord, et c’est pourtant ce que les manœuvres de l’Est ont encore une fois prouvé. Pendant que les soldats des deux armées qui se trouvaient en présence dans les plaines de la Champagne prenaient la bataille tellement au sérieux, — ce dont il convient de les louer, — qu’on a pu voir un fantassin d’avant-poste percer de sa baïonnette le ventre du cheval d’un hussard ennemi qui essayait de forcer le passage, on a vu au contraire des officiers-généraux de tous grades engager leurs troupes dans des positions telles qu’ils auraient perdu, dans la réalité, les deux tiers de leurs effectifs. Et, sans doute, dans la bataille du lundi 7 septembre, devant Colombey-les-deux-Églises, les spectateurs et surtout les spectatrices ont applaudi à la bravoure du 7e corps d’armée qui s’avançait « héroïquement » vers le Bois-Cornet, sous le feu croisé des batteries du 6e corps qui couronnaient les crêtes rendues ainsi inexpugnables ; dans la bataille du mercredi 9 septembre, en avant de la ligne de Vandœuvre, lorsque le 8e corps d’armée s’élança à l’assaut, sans une pièce d’artillerie qui le soutînt, contre les hauteurs de Beurcy, d’où toutes les pièces réunies du 5e corps et de la réserve tonnaient sur lui, sans doute, ce merveilleux déploiement de parade excitait l’admiration frénétique du public dont les bravos se mêlaient aux accens irrésistibles des clairons qui sonnaient la charge ; mais que pesaient, le lendemain, devant la critique rationnelle ou même devant la plus simple réflexion, cet « héroïsme » et cette « audace » de théâtre ? Des représentations de ce genre peuvent faire illusion au gros public et même à certains reporters ; elles ne trompent aucun juge sérieux ; et c’est ainsi que l’attaché militaire d’une grande puissance a pu dire, dans une conversation qui n’a pas été démentie, que l’attaque des hauteurs de Beurey dans la journée du 9 par les troupes du 8e corps lui avait rappelé la journée de Saint-Privat et le fameux glacis dont le vieux roi de Prusse répétait avec mélancolie qu’il avait été l’inutile tombeau de sa garde. « C’est très séduisant en théorie, disait cet officier, la méthode qui consiste à ouvrir le feu à 1,200 mètres, à avancer de 500 mètres d’un coup, puis, après un temps, à franchir le reste de la distance ; mais, en pratique, avec les armes à tir rapide, la chose est absolument impossible. On objecte, évidemment, qu’on lance