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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 108.djvu/329

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… Autre rêve enchanté,
Dans l’être d’un moment instinct d’éternité.


Aussi, sur terre, tout s’est-il empreint pour elle d’une amertume infinie. Alors, elle s’est tournée vers le Seigneur, en lui criant : « Prends-moi ! » car, par-dessus toute chose, elle a besoin d’un grand et saint espoir, où son âme


S’enferme et trouve enfin un terme à son tourment.


C’est encore là une rechute de mysticisme, mais la dernière malheureusement. Qui sait l’influence qu’aurait pu avoir sur cette nature inquiète, si, à ce moment, elle l’avait rencontré sur sa route, un de ces grands pasteurs d’âmes, comme l’église catholique n’a pas cessé d’en fournir depuis saint François de Sales et bien des siècles auparavant, jusqu’au père Lacordaire, et à tel prêtre de nos jours. Mais la jeune fille vivait seule avec elle-même, incertaine de son avenir et tourmentée du double désir de trouver quelque but digne de sa vie et quelque objet digne de son amour. A vrai dire, ces deux désirs se confondaient dans sa pensée ; car dans une petite pièce adressée aux femmes, ce qu’elle leur propose comme idéal, c’est la tâche austère du dévoûment à un époux, à un enfant, c’est d’être celle


Que l’homme à son secours incessamment appelle,
Sa joie et son espoir, son rayon sous les cieux,
Qu’il pressentait de l’âme et qu’il cherchait des yeux.


Ainsi cette philosophe, cette révoltée, fut à vingt ans femme, et très femme. L’ambitieux désir qui lui vint plus tard de jeter un cri, avant le naufrage final, et de laisser derrière elle un sillage, ne la tourmentait pas encore, et si elle félicitait une de ses amies de s’être enfermée dans l’art, et de contempler sur cette terre


Sous un de ses aspects l’éternelle beauté,


c’était après s’être écriée :


Que faire de la vie ? O notre âme immortelle,
Où jeter tes désirs et tes élans secrets ?
Tu voudrais posséder ; mais ici tout chancelle.
Tu veux aimer toujours. Mais la tombe est si près…


c’était parce qu’elle voyait dans cette idolâtrie de l’art le moyen le plus sûr de tromper


’éternelle douleur et l’immense désir.