Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 108.djvu/383

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Tout le monde attend, toutes les puissances se réservent leur liberté pour l’avenir : réservez la liberté d’action de la France. »

Ce réquisitoire, d’une belle ordonnance, magistralement développé dans une forme vive et saisissante, dissipa tous les doutes ou plutôt raffermit des convictions déjà faites. L’argumentation n’en était pas cependant si solide qu’il ne fût permis de la rétorquer, d’en signaler les faiblesses et de démontrer que le recueillement a ses dangers comme l’action, et qu’en cette occasion, pendant que l’Angleterre étendait la main sur l’Égypte, la France, en refusant d’y paraître avec elle, déclinant son invitation, s’exposait volontairement à un douloureux mécompte. Personne ne se leva pour réfuter les considérations invoquées par M. Clemenceau. On rejeta le projet de loi, et le ministère fut renversé par 416 voix contre 75. La majorité, qui l’avait soutenu la semaine précédente, s’était, pourrions-nous dire, totalement retournée. Étrange caprice du régime parlementaire qu’on nous permettra de noter en passant. Pendant que nous usions ainsi de notre liberté, l’Angleterre tirait parti de celle que nous lui laissions. Dès qu’elle fut solidement constituée, son armée parut à Tell-el-Kébir et le lendemain elle entrait victorieuse au Caire, pendant que la Turquie s’attardait dans ses préparatifs pour s’acquitter de la mission que l’Europe lui avait confiée. Quant à la conférence, qui n’avait plus d’objet depuis le vote de notre chambre et la dispersion de l’armée égyptienne, la France ayant renoncé à y débattre ses intérêts et l’Angleterre revendiquant désormais, pour elle uniquement, le soin de rétablir l’ordre en Égypte, la conférence, disons-nous, cessa de se réunir sans se séparer officiellement. Ainsi se dénoua cette complication dont l’issue restera un sujet de pénibles méditations pour ceux qui gardent le souvenir des temps meilleurs.


IX

C’est, en effet, une lamentable histoire que celle de la politique de la France dans cette affaire égyptienne. Les fruits en sont amers ; ce n’est pas cependant par ses résultats qu’il convient de la juger : c’est dans les causes qui les ont produits qu’il faut chercher les élémens d’une équitable appréciation. Nous les trouverons dans les faits que nous avons exposés et sur lesquels il nous faut revenir rapidement pour les envisager dans leur ensemble et dans leurs conséquences. La question d’Égypte est née des dilapidations d’Ismaïl-Pacha ; nous avons dit en quel état de pénurie son faste et ses largesses avaient mis les finances du pays, comment la France et l’Angleterre intervinrent pour y remédier, et en quelle occasion les deux puissances furent amenées à provoquer la déchéance de ce