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son éloignement. On s’inquiétait, cependant, et on échangeait de fréquentes communications ; l’entente restait étroite et cordiale entre les deux gouvernemens ; on était d’accord sur le but ; mais, ni d’un côté ni de l’autre, on ne trouvait le moyen de l’atteindre. Les instructions qu’on donnait aux agens s’en ressentaient. « Je vous prie d’éviter avec soin, leur écrivait-on en février 1881, toute démarche qui pourrait vous donner l’apparence d’une intervention quelconque dans des mouvemens de ce genre (les manifestations militaires). Veuillez vous abstenir également de prendre parti dans les questions de modifications ministérielles. » Le 3 mars suivant, on leur tenait un autre langage : « La France et l’Angleterre, leur disait-on, sont disposées à donner leur appui au khédive aujourd’hui régnant. Vous soutiendrez, d’accord avec votre collègue, les ministres actuels du khédive et les ministres futurs… » Soutenir en s’abstenant n’était pas une tâche bien aisée, et nous n’indiquons ces contradictions que parce qu’elles témoignent de l’incertitude, sinon de la confusion dans laquelle on s’attardait soit à Paris, soit à Londres, pendant qu’en Égypte la position s’aggravait chaque jour davantage. Ce qu’il convient d’en retenir, c’est que l’agitation gagnait sans cesse en étendue et en profondeur ; elle se répercutait jusqu’au Soudan, où elle devait avoir de si funestes conséquences.

On arriva ainsi au mois de novembre 1881, moment où Gambetta succéda, aux affaires étrangères, à M. Barthélémy Saint-Hilaire, qui en janvier avait remplacé M. de Freycinet, lequel avait lui-même remplacé, en 1880, M. Waddington. Gambetta eut, il faut le dire, une conception nette et lucide de la situation ; il comprit, avec une parfaite sagacité, la gravité du mal, et il se montra fermement résolu à y opposer l’unique remède qu’il comportait. Il s’en expliqua avec l’ambassadeur d’Angleterre. « Nous voyons d’une part, lui dit-il notamment, un gouvernement animé de bonnes intentions, mais faible et toujours à la merci d’un mouvement militaire ; de l’autre, une armée travaillée par les intrigues et toute prête à suivre des chefs ambitieux… Combien de temps durerait un équilibre aussi instable ? Ne serait-il pas troublé demain par les revendications de la Porte, par les convoitises de l’ancien khédive, dont on rencontre à chaque instant la main dans les intrigues égyptiennes ? .. » — « J’ai demandé ensuite à lord Lyons, écrivait-il encore à notre ambassadeur à Londres, si le moment ne lui paraissait pas venu, pour les deux puissances les plus directement intéressées à la tranquillité de l’Égypte, de concerter encore plus étroitement leur union et de se communiquer, avec une entière franchise, les réflexions que cet état de choses pouvait leur suggérer. Pour aller au plus pressé, ne conviendrait-il pas, quant à présent, de soutenir énergiquement, d’un commun accord, le