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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 108.djvu/651

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absolument hostiles, comme celles d’un assez pauvre écrivain, Andries Pels, qui, tout en accordant quelque talent à Rembrandt, relève avec aigreur ses tendances ultra-réalistes et le tance vertement du choix de ses modèles et de son indépendance absolue en face des principes.

Samuel van Hoogstraten avait été, ainsi que Keilh, élève de Rembrandt et peut-être s’était-il trouvé en même temps que lui dans l’atelier du maître, et pourtant nous ne rencontrons guère dans ses écrits que l’écho des enseignemens qu’il y avait reçus, par exemple, dans les conseils qu’il donne lui-même à ses disciples[1] sur la recherche des expressions vraies et sur les moyens de les obtenir, ainsi que sur les lois de la lumière. On sait que, désireux de les instruire à cet égard, il avait organisé dans le local d’une ancienne brasserie, à Dordrecht, un théâtre où, tour à tour auditeurs ou acteurs, ses élèves s’essayaient, sous les yeux et la critique de leurs camarades, à représenter, en les disposant avec art, des scènes empruntées à la littérature ou à l’histoire. Ils en variaient aussi les conditions d’éclairage de manière à développer chez eux des facultés d’observation nécessaires aux progrès de leur talent.

Houbraken a recueilli sur Rembrandt des informations plus nombreuses et plus précises ; mais aux détails véridiques, transmis par lui, se mêlent déjà ces anecdotes plus ou moins suspectes dont il était d’usage, dès cette époque, d’émailler la biographie des artistes célèbres. Brodant à leur tour sur ce thème commode, Campo-Weyermann, Dargenville, Descamps et les autres, inventent de toutes pièces des fables destinées à l’amusement de leurs lecteurs et, grâce à eux, la légende se substitue peu à peu à la vérité. L’obscurité presque absolue dans laquelle Rembrandt avait passé les dernières années de sa vie était bien faite, il faut en convenir, pour encourager les inventions d’écrivains aussi peu scrupuleux. Ce prodigue, qui n’a jamais connu le prix de l’argent et qui, sans compter, dépensait pour satisfaire ses caprices de collectionneur, nous est dépeint par eux comme un avare, et, à les en croire, cet esprit élevé, cette âme tendre dont nous admirons aujourd’hui les nobles et puissantes créations, ne se serait plu que dans la société des gens les plus vulgaires et de la plus basse condition. Son mariage avec une paysanne de Ransdorp, sa mort simulée, ses voyages à Venise, ses menaces de quitter son pays s’il n’y est pas traité avec plus de considération, menaces qu’il aurait mises à exécution pour aller se fixer en Angleterre, à Hull ou à Yarmouth suivant les uns

  1. Inleyding tot de Hooge School der Schilderkonst ; Rotterdam, 1678.