l’état sauvage eussent été condamnés à mort, voient leur vie prolongée par la civilisation ; les malades et les vieillards, on les soigne tendrement dans les hôpitaux, leurs parens les sauvent au lieu de les tuer ; les débiles, on les porte ; les boiteux, on leur adoucit la route : à tous, on défend de mourir. La population d’Angleterre croît de 200,000 âmes par an. Elle atteindra 88 millions en 1960.
« Est-ce un bien ? vous vous enorgueillissez de votre fécondité ! mais réfléchissez donc, malheureux ! 200,000 naissances par an ? .. Dans dix ans, là où 100,000 cherchent maintenant de l’emploi, il en viendra 120,000 : là où 100,000 prennent leur nourriture, leur chauffage, leur vêtement, il en viendra 120,000. Le prix de la viande a déjà monté, il montera encore ; le grain coûte aussi plus cher. Et ce n’est pas seulement le prix des choses qui augmente, c’est leur qualité qui diminue. Allez dans les quartiers.pauvres de Londres, entrez dans une boutique et voyez : sucre douteux, beurre inquiétant, lait bleu, légumes flasques, sans compter le poisson, répugnant à l’œil et à l’odorat, et les faggots vénéneux. Vous étonnez-vous maintenant de la pâleur hagarde des misérables que vous rencontrez ? C’est avec ça qu’ils se nourrissent. Ils boivent ? Il le faut bien, puisqu’ils se nourrissent si mal, mais quelles boissons ! »
Et elle continue son effrayant tableau avec une énergie extraordinaire. Ses argumens sont faux, nous l’avons vu tout à l’heure, puisque le prix des grains abaissé d’un tiers, mais elle se soucie moins d’examiner leur valeur que de les accumuler. Elle montre cette foule blême prenant d’assaut les taudis trop petits, logeant à quarante dans quatre petites chambres, s’empoisonnant de sa propre odeur dans de suffocans ateliers où hommes, femmes, enfans, meurent à demi pour continuer à vivre. Et croyez-vous que les campagnes soient plus favorisées ? Certes, sous la fraîche brise qui souffle, avec ces prairies vertes où les enfans peuvent jouer, la santé est meilleure, mais les salaires sont bas, les maisons encore plus sales qu’à Londres, et plus encombrées. Quant aux mœurs, écoutez l’évêque de Manchester : « La modestie doit être une vertu inconnue, la décence une chose inimaginable, dans une petite chambre où les lits ont été serrés les uns contre les autres autant qu’on l’a pu, où père, mère, petits enfans, adolescens, grands garçons et grandes filles, — deux et quelquefois trois générations, — vivent dans la plus complète promiscuité, où toutes les opérations de la toilette et de la nature, s’habiller, se déshabiller, naître et mourir, sont accomplies par chacun sous les yeux de tous, où des enfans des deux sexes jusqu’à quatorze ans, et