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de travail, au lieu des privations de la morte saison, et les grands magasins qui bénéficient d’une situation qui, sans eux, deviendrait intolérable. En même temps l’intervention des grands magasins exerce sur le crédit de la fabrique une influence considérable. Muni d’une lettre de commande émanant d’un des magasins dont le crédit est incontesté, le fabricant de Lyon trouve facilement toutes les avances nécessaires pour l’exécuter. La commande devient l’équivalent d’une lettre de change. C’est ainsi que les grands magasins ont été appelés à jouer un rôle important dans le mouvement financier qui caractérise notre époque.

Le même phénomène s’est manifesté pour l’industrie de Roubaix dont les grands magasins constituent une partie importante de la clientèle. C’est ainsi qu’est née et qu’a prospéré l’industrie des tapis d’usage courant. Autrefois, la France était tributaire, pour ces tapis, de l’Angleterre ; aujourd’hui, par suite de l’intervention des grands magasins qui ont commandé par milliers des tapis dont leurs agens avaient été chercher les modèles au fond de l’Orient, des usines se sont créées et des milliers d’ouvriers ont trouvé une fructueuse rémunération en mettant en œuvre la laine venant de toutes les parties du globe.

De pareils résultats ne peuvent être obtenus que grâce au grand commerce, qui assure par ses commandes l’existence d’industries qui, sans lui, n’auraient jamais vu le jour. Leur action a été surtout sensible pour les industries qui n’avaient pas chez nous de similaires. Souvent, surtout au début, les grands magasins ont dû, comme le commerce de détail, d’ailleurs, s’adresser aux fabriques étrangères, faute de trouver chez nos industriels les produits que le consommateur demandait. L’industrie des jouets d’enfans et principalement celle des soldats de plomb étaient dans ce cas. L’Allemagne semblait avoir le monopole de cette fabrication. Tous les soldats de plomb venaient de Nuremberg. Désireux de s’affranchir de la domination étrangère, les grands magasins se sont adressés à des industriels français, et ils ont vaincu leurs hésitations en leur assurant un débit qui devait couvrir rapidement leurs frais d’outillage et d’essais. Aujourd’hui, non-seulement le jouet allemand est refoulé, mais encore nos produits similaires pénètrent à l’étranger. Encore un exemple. Il n’y a pas longtemps encore, l’Allemagne nous envoyait ses tricots dont Francfort et Berlin étaient les centres principaux de fabrication. Pour s’affranchir de ce tribut, les grands magasins se sont adressés à des entrepreneurs français auxquels ils ont dit : « Si vous organisez des ateliers, nous vous assurerons du travail toute l’année. » A l’abri de cette protection, des ateliers se sont constitués sur divers points du territoire