joies. Il avait acquis un domaine près du village de Lancy ; il y créa une ferme-modèle. Il tenait lui-même les cornes de la charrue, sans souffrir que personne l’aidât ; il estimait que les conducteurs d’attelages ne servent qu’à faire tracer les sillons moins droits : « Il y a dans le travail de la charrue, disait-il, un charme que je ne sais expliquer qu’en partie, ce qui prouve que c’est bien un charme. » Pendant qu’il labourait. Mme Pictet filait. Une Allemande a rendu à cette femme distinguée le témoignage « que, joignant aux agrémens des muses les talens que l’on cultivait à Athènes, elle avait porté l’art défiler la laine à une perfection inconnue jusque-là. » L’une filant, l’autre traçant ses sillons, on était heureux ; on oubliait que la vieille Genève n’était plus, qu’elle s’était changée en « une maison de servitude. » — « Ah ! mes amis, combien je vous ai regrettés hier en faisant mon tour du soir tout seul !.. Que je vous dise que le trèfle dont nous avions désespéré devient beau et sera magnifique. Mais ce qu’il faut voir, c’est nos pommes de terre, c’est encore le sainfoin des Crêtes ! Les Tuiles sont un vaste jardin fleuri… La soirée était splendide, toute la campagne chantait. »
Il s’appliqua surtout à l’élève du bétail et, comme on disait alors, à la culture des moutons. Il fit venir de la bergerie de Rambouillet un troupeau de douze brebis mérinos, qui donnèrent toutes de beaux et vigoureux produits. « Rien n’est plus rare, disait-il, que de voir les agneaux mérinos sauter de joie comme le font tous les jours les agneaux des races françaises et suisses ; ils ont une démarche plus mesurée, plus cadencée ; ils paraissent tenir de la gravité espagnole. » Il n’avait garde de leur en vouloir ; il aimait qu’on apprît de bonne heure à se contenir, à rester maître de soi. La réputation de son troupeau se répandit au loin, et sept ans plus tard, le prince Esterhazy lui achetait d’un seul coup pour 80,000 francs d’animaux. Au congrès de Vienne, le prince de Metternich et lord Castlereagh lui feront compliment sur ses talens d’éleveur, et il écrira à l’un des siens : « Le grand-maître des cérémonies, qui nous choie, nous a offert les fenêtres de son appartement pour voir passer le carrousel. Il est passionné de mérinos, et il me respecte comme le pape des moutons. Il voudrait que j’allasse donner ma bénédiction à ses bergeries, mais je n’en ai pas le temps. »
Ce ne fut pas la seule obligation qu’il eut à ses mérinos ; dès 1807, il leur fut redevable de sa première liaison avec le duc de Richelieu, alors administrateur de la Nouvelle-Russie, et qu’en 1815 il retrouvera à Paris président du conseil. Mais il ne bornait pas son ambition à produire de la laine brute, il prétendait la tisser et livrer au commerce des étoffes de luxe. Le premier préfet français qu’ait eu Genève, M. d’Eymar, adressait en 1800 au consul Lebrun une petite caisse