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Alors, dit-elle, une flamme romantique aux yeux, il reviendra « couronné de pampre.» — Pourquoi «couronné de pampre ?» Mais... (Lemaître au moins nous a dit qu’il fallait l’entendre ainsi) « couronné de pampre » veut dire quelque chose comme vainqueur, triomphant, pareil à un jeune dieu, à Bacchus impassible parmi les ivres corybantes. J’aurais cru plutôt le contraire, et que le pampre signifie l’ivresse au lieu de la sobriété. Mais n’importe, « couronné de pampre, » cela sonne bien, cela fait image ; Hedda n’en demande pas plus ; elle tient son idéal, elle a trouvé la pose. Si bienveillant que soit notre confrère, il n’a pu s’empêcher ici de s’écrier : Cabotine ! cabotine ! — Il fallait ce cri pour nous soulager.

Il reviendra couronné de pampre ! — Je vous ai dit comment Eylert revient. Il a résolu de mourir. Pour le dilettantisme d’Hedda, quelle revanche inespérée ! Pouvoir empêcher un suicide et y pousser ? Surtout que ce soit, comme on dit, un beau suicide : « En beauté, Eylert Loevborg ! Promettez-le-moi. » Hélas ! dans cette mort pas plus que dans cette vie, il n’y aura eu de couronne de pampre. L’idéal d’Hedda, son absurde et atroce idéal, la trahit encore. Un homme meurt pour elle, ou par elle, mais de quelle piètre mort ! Frappé, non pas à la tempe, ni même à la poitrine (ce serait encore une belle place !), mais au ventre et au bas-ventre ! « C’est complet, s’écrie-t-elle, la nausée aux lèvres ! Le ridicule et la bassesse atteignent comme une malédiction tout ce que j’ai touché ! » Elle, du moins, se frappe au front. A la bonne heure ! voilà qui est artistique. Savez-vous bien que la décadence antique elle-même n’a pas connu de ces délicatesses. Pauvre Agrippine, avec son feri ventrem ! Quelle jeune femme un peu distinguée aujourd’hui voudrait mourir aussi bourgeoisement ?

En beauté, voilà, disais-je, le mot absurde et malsain de ce rôle et de ce drame. Pauvre sainte et saine beauté ! Comme notre époque l’aura aimée, mais outragée aussi ! L’a-t-on assez compromise, assez souillée au contact de la démence et du crime ! Prenez garde ! à force d’en faire l’excuse des fous et des méchans, vous l’en rendez complice et la déshonorez. On médit, on calomnie, mais avec tant d’agrément et d’esprit : en beauté ! Parce qu’elles sont laides, on ne secourt pas la misère, on ne soigne pas la maladie, on n’ensevelit pas la mort ; l’intelligence prime le devoir et la vertu ; sous prétexte de tout comprendre, on ne daigne plus rien aimer ni rien haïr : en beauté ! En beauté, les crimes « passionnels, » les meurtres intéressans et les nobles suicides ! Charlotte de Jussat-Randon déshonorée par Robert Greslou, le disciple, l’intellectuel ; Loevborg perdu par Hedda Gabler, en beauté ! Allons donc ! Tout ça, disait un brave prêtre, dans un roman de M. Paul Bourget, c’est des grandes saletés. Il dirait ici : c’est des grandes bêtises. C’est de la littérature au sens le plus artificiel,