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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 109.djvu/403

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de tels progrès qu’on put craindre un instant que la flotte d’Orange ne vînt à se dissoudre. Les ports amis qui les accueillaient encore, ceux d’Angleterre, aussi bien que ceux de France, ne s’ouvraient plus qu’à regret à ces équipages dont la turbulence devenait un fléau pour les villes qu’ils envahissaient. La population même des Pays-Bas cessait de leur être sympathique. Partout où ils apparaissaient dans leurs irruptions soudaines, on souhaitait ardemment leur départ, on ne songeait qu’à se mettre en garde contre leur retour. Les villes néerlandaises avaient longtemps souffert des allures arrogantes et brutales des soldats espagnols. — C’était là une des principales causes de la révolution. — On se voyait aujourd’hui obligé de reconnaître que les soldats espagnols valaient encore mieux que les gueux de mer. Exposées aux désastreuses visites des pirates, presque toutes les villes marchandes sollicitaient maintenant, dans l’intérêt de leur sécurité, l’envoi de ces garnisons dont elles demandaient jadis avec tant d’insistance l’éloignement. Il y avait là un moment précieux qu’Albe aurait dû saisir pour en finir une fois pour toutes avec la piraterie. Le cours des choses en eût probablement été changé. Albe se laissa distraire par d’autres soins qui lui semblèrent, sans doute, plus pressans. Un de ses lieutenans, Gaspar Robles, seigneur de Billy, gouverneur de la Frise, apprécia mieux la situation.

Au retour du printemps, les gueux avaient menacé Delfzijl[1] : Robles les contraignit de se retirer. Les gueux se rejetèrent sur le Dollard[2], saccagèrent tout le pays environnant et allèrent déposer leur butin sur les îles d’Ameland et de Ter-Schelling. Nous avons dit plus haut que, chassés d’Emden, ils s’étaient rendus maîtres de ces deux clés de l’Fins et du Zuyderzée. Sur Ameland, ils occupaient le château qu’y avait bâti un-gentilhomme frison, Pierre de Kamminga ; sur Ter-Schelhng, ils avaient détruit l’habitation du comte d’Aremberg, emmené prisonniers le bailli et le pasteur.

Robles cependant faisait partout et autant que possible bonne garde sur la côte. Plus d’une fois, les gueux, descendus à terre, trouvèrent, au retour de leurs expéditions, la retraite coupée. Mais ce n’était pas assez, pensa-t-il, de punir ces ravages ; mieux vaudrait encore les prévenir. Au printemps de l’année 1570, il jeta ses soldats sur Ameland et sur Ter-Schelling. Les gueux ne s’attendaient pas à cette attaque. Ils furent surpris, égorgés, et Robles rentra en possession des îlots sablonneux qu’Albe avait négligé de mettre en état de défense. Là périt un jeune et vaillant gentilhomme qui avait été des premiers à signer la ligue des nobles. Pibo Harda

  1. Delfzijl est située en face d’Emden.
  2. Golfe intérieur créé par les inondations non loin de l’embouchure de l’Ems.