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mêmes malaises au début. Ceux qui travaillent dans des pièces trop petites et insuffisamment ventilées éprouvent quelquefois des phénomènes plus sérieux ; mais, en somme, les ouvriers des manutactures se portent bien.

Les femmes, au sujet desquelles la discussion a surtout été soulevée, dans les sociétés savantes, ont été l’objet de plusieurs enquêtes dirigées par les médecins des manufactures, et les avis ont été partagés à leur égard ; toutefois, l’opinion qui a prévalu à la suite de ces débats, c’est que le tabac n’est pas abortif et n’a pas d’influence fâcheuse sur la santé des ouvrières. L’avortement n’est pas plus fréquent chez elles que parmi les femmes des professions analogues ; la faiblesse et la mortalité excessive de leurs enfans ne s’expliquent que trop facilement par l’abandon dans lequel elles sont forcées de les laisser, pendant qu’elles sont à l’atelier. Le tabac n’a rien à y voir.

Revenons aux fumeurs endurcis et aux maladies qui les menacent, car je n’ai pas encore fini d’en épuiser le catalogue. Il y a d’abord l’amblyopie nicotinique que Siebel a signalée le premier, et qui a été bien étudiée par les ophtalmologistes modernes. C’est un affaiblissement de la vue tout spécial. Il se distingue des autres par la facilité avec laquelle il disparaît, lorsque le malade renonce au tabac, et la promptitude avec laquelle il se manifeste de nouveau, lorsqu’il recommence.

Cette affection est extrêmement rare. Il en est de même des cas de paralysie qu’on a signalés en Allemagne. Quant au delirium tremens, aux convulsions, à l’épilepsie, aux hallucinations, à la démence, à la sénilité précoce, à la lypémanie, qu’on a accusé le tabac de produire, je me contenterai de cette énumération. Elle rappelle la scène du Malade imaginaire, dans laquelle le docteur Purgon menace son infortuné client de tous les foudres de la pathologie ; mais les fumeurs ne se laissent pas aussi facilement terrifier que le malheureux Argan et savent à quoi s’en tenir. On doit inévitablement rencontrer, dans leurs rangs, toutes les maladies imaginables, parce qu’ils sont extrêmement nombreux, et que le tabac ne préserve d’aucun des maux qui affligent l’humanité. Son abus se concilie même très bien avec celui de l’alcool, et ses détracteurs se plaisent à les confondre tous les deux. Nous retrouverons le même parti-pris dans l’analyse des phénomènes psychologiques, que le moment est venu d’aborder.

IV.

De tous les reproches qu’on adresse au tabac, celui d’abrutir l’intelligence est le plus cruel pour les fumeurs, et les preuves