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diversité de leur territoire, l’énormité de leur population et son accroissement plus énorme encore, s’il n’y a pas là matière à admiration, il n’y a pas, du moins, sujet à étonnement ; mais certes, on ne peut, dans des conditions toutes différentes, imiter cet excès de confiance.

Un pays relativement petit, puisqu’il n’a que 528,000 kilomètres carrés de superficie, qui ne produit que modérément de houille, presque pas de fer, ni de cuivre, ni de plomb, ni de pétrole, ni de coton, peut-il, sans sottise, aspirer à être une contrée économiquement autonome ? N’est-il pas visible qu’il est des productions auxquelles la nature des choses lui impose de renoncer, d’autres, au contraire, auxquelles il convient qu’il consacre particulièrement ses efforts ? Tel est le cas de la France. La tentative de faire de la France une nation solitaire, une nation ermite, vivant presque repliée sur elle-même, ne prenant avec le dehors que le minimum de contact possible, est l’un des projets les plus antinaturels et les plus extravagans qui se puissent imaginer. On n’y tient compte ni des espaces qui sont restreints, ni des productions naturelles qui sont trop bornées, ni surtout de la population qui a trop peu d’importance numérique et qui est stationnaire, si même, comme le lait craindre le tableau des naissances et des décès pour l’année 1890, elle n’entre pas définitivement dans une voie de décroissance.

Cette considération ajoute à l’ineptie de la conception de l’isolement économique de la France. Nous avons aujourd’hui 38 millions d’habitans, c’est-à-dire moins que la Russie, moins que les États-Unis, moins que l’Allemagne, moins que l’Autriche-Hongrie, à peine autant que l’Angleterre qui nous a atteints hier et nous devancera demain. Nous sommes menacés de ne compter éternellement que 38 millions d’habitans, c’est-à-dire 38 millions de consommateurs : le chiffre en est fixé d’une manière invariable, et c’est à ces 38 millions de cliens que l’on a la prétention de borner l’ambition de l’industrie et de l’agriculture françaises. Tous les arts utiles font des progrès, toutes les méthodes s’améliorent, on invente chaque jour des machines plus puissantes, des procédés plus économiques ; les cultures comme les industries deviendront plus productives ; mais éternellement nos manufacturiers et nos cultivateurs, avec leur production accrue, se trouveraient en présence de 38 millions seulement de consommateurs !

Toute la mesquinerie de cette conception, tout ce qu’elle contient de décourageant pour l’avenir national, se révèle avec une rare intensité quand on y réfléchit et quand on considère les choses dans leur ensemble et dans leur développement, ce que n’ont jamais cherché à faire les inventeurs du système.

Il est des peuples qui ne peuvent être grands que par leur