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LES ANGLAIS EN BIRMANIE.


longue, ont, aux yeux des Anglais, acquis la valeur de principes. Indiquons-les dans leur enchaînement rigoureux.

L’Inde est pour l’Angleterre une possession d’une importance capitale. Qu’elle soit bien gouvernée et bien administrée, cela est essentiel pour la tranquillité de la métropole et le bon ordre de ses finances, comme pour le développement de sa richesse. L’Inde n’est pas une nation ni même une contrée. C’est un assemblage de cent régions disparates, une juxtaposition de cent peuples divers, n’ayant le plus souvent rien de commun : ni la langue, ni la religion, ni les coutumes, ni les besoins, ni les aspirations. Cet émiettement infini, qui offre pour la domination de si grandes facilités, est, au contraire, pour le gouvernement et l’administration, la cause de difficultés innombrables. À raison de sa complexité même, l’Inde ne peut être gouvernée et surtout administrée que par ceux qui l’ont étudiée à fond. Cette étude est longue et malaisée, et toutefois, à elle seule, ne • suffit pas encore. Les peuples de l’Inde sont si loin de nous, leurs façons de penser si différentes des nôtres, qu’un homme, même instruit de leur histoire et de leurs mœurs et parlant leurs idiomes, sera au-dessous de sa tâche s’il n’est doublé d’un psychologue. Mais la science et la mise en œuvre de la science, — car ce n’est pas à moins que cela qu’il faut s’élever, — ne sont que le partage d’une élite. Les fonctionnaires de l’Inde doivent donc sortir de l’élite de la nation. Cette élite, il faut trouver le moyen de l’attirer à soi. Il faut lui offrir tel appât qui la décide à entreprendre des études souvent fastidieuses, et, plus tard, à s’expatrier durant des années. Cet appât sera celui d’une carrière sûre, intéressante, honorable, quelquefois même glorieuse, et en somme lucrative. Mais ces avantages offerts à une élite vont tenter bien des gens qui n’en seront pas : il importe de les séparer, et, pour cela, de trouver un critérium. Ce critérium, ce sera, en principe, des concours sérieux et vraiment dignes d’une élite ; subsidiairement, une sélection habilement pratiquée par des personnes d’expérience parmi les hommes de mérite, là où ils se révéleront.

Voilà, en vingt lignes, le système et sa base logique. Entrons maintenant dans le détail de la construction.

L’ambition de gouverner un pays situé sous les tropiques avec l’élite d’une nation européenne paraît, à première vue, chimérique. En réalité, parmi tous les problèmes dont elle implique la solution, un seul était ardu. Il consistait à recruter, par la méthode du concours, les hommes, à tant d’égards éminens, dont on avait un impérieux besoin. Le concours ne fournit ordinairement qu’une seule garantie : c’est qu’à telle heure, tel individu possédait telles connaissances. Or cette garantie était ici parfaitement insuffisante. Le