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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 109.djvu/661

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commandans que celui du Jean Bart pouvaient ne pas user des mêmes ménagemens ni raisonner de la même manière. Quelle occasion de lever un fort tribut sur les habitans de Port-Elizabeth ! Échec, pour l’Angleterre, purement moral, mais sensible. Si l’histoire n’est pas vraie, on retiendra qu’il se publie au Cap des fantaisies du genre mi-sérieux, trahissant une médiocre croyance à l’ubiquité de la flotte britannique en cas de péril, même dans la seule région des mers sud-africaines. Et, en effet, des bouches de l’Orange, sur l’Océan-Atlantique, à l’embouchure de l’Oumtata, dans l’Océan-Indien, se développe un littoral plus long que de Dunkerque à Saint-Jean de Luz et de Port-Vendres à Villefranche. Bien garder ces deux mille kilomètres de rivage ne serait pas une bagatelle. En temps de paix la station navale du Cap, qui dessert aussi toute la côte occidentale d’Afrique, se compose d’une douzaine de bâtimens, deux de second ordre, le reste du troisième, croiseurs et canonnières. Au besoin, évidemment, on la renforcerait. Toutefois il faudrait savoir quel serait l’ennemi, à quelle heure de la lutte il surgirait dans ces parages, quelle serait alors la distribution des escadres anglaises à travers le globe, quelles qualités de navires se rencontreraient sur tel ou tel point, quelle stratégie attirerait des forces d’un côté pour mieux frapper de l’autre. La meilleure garantie de ces plages et de ces falaises, c’est encore le vent de sud-est, avec la mer énorme qu’il soulève. Elles en ont une autre, le manque de cités populeuses. Il y aurait vraiment trop peu de choses à bombarder. Cape-Town possède de quoi tenir l’agresseur à distance. Reste Port-Elizabeth, ville de treize mille âmes, et East-London, de six mille. Maigres proies. Le procédé que M. de Moltke lui-même trouvait « toujours désagréable » prendrait ici quelque chose de particulièrement odieux puisqu’on ferait payer à une colonie les torts de sa métropole.

Ce qui se comprendrait mieux, ce serait une descente ; mais pareille opération supposerait des arrière-pensées de conquête. On n’a pas encore conté cette bataille de Dorking. A cela il y a peut-être un motif : elle se livre tous les ans et forme le thème obligé des grandes manœuvres, — en miniature, — que les vacances de Pâques ramènent avec les premières fraîcheurs de l’automne austral. Si quelqu’un s’avisait d’en faire une prédiction habillée en récit, il pourrait mettre à la tête des troupes de débarquement un officier-général, mais il ne lui donnerait pas pour sûr l’uniforme français. Ce serait par trop invraisemblable. Il l’appellerait peut-être baron Münchhausen, comme l’émule prussien de M. de Crac.

Les angoisses patriotiques du Cap remontent au lendemain de