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savans et de clercs. Peu importait que les inscriptions ne fussent pas comprises de la foule, ceux qui en avaient la clé se chargeaient d’en fournir l’explication, en se réservant de les interpréter au gré de leurs intérêts. On trouve dans le nord de l’Afrique un grand nombre d’inscriptions en tefinagh, de dates très diverses ; il en est qui remontent à plusieurs siècles, d’autres sont toutes récentes. L’écriture tefinagh, qui est encore partiellement en usage chez les Touaregs, n’est intelligible qu’aux initiés, à certaines femmes surtout, qui conservent ce secret de famille.

Un sauvage, à qui on montrait son nom écrit en caractères qu’on pouvait lire, s’écriait avec un profond étonnement : « Où sont mes jambes ? où est ma tête ? Je ne vois rien là de ce qui me distingue. » Les profanes à qui les initiés expliquaient le sens d’une inscription durent éprouver un étonnement du même genre, et comme il n’y a qu’un pas du mystère à la magie, ils attribuèrent à la parole écrite une vertu miraculeuse. On voit dans l’Edda Brinhild enseigner à Sigurd la puissance surnaturelle de l’écriture runique : « Tu graveras des runes de victoire si tu veux avoir la victoire ; tu les graveras sur la poignée de l’épée, tu en graveras d’autres sur la lame en nommant deux fois Tyr. Tu graveras des runes de tempête si tu veux sauver ton navire dans le bruissement des écueils ; tu les graveras sur l’étrave et sur le plat du gouvernail. Tu graveras des runes de pensée si tu veux devenir plus sage que d’autres. Odin lui-même a imaginé ces runes. »

Ce ne fut pas seulement dans les contrées du Nord qu’on se persuada sans peine que le nom qui signifiait puissance était puissant de sa nature, que celui qui donnait l’idée de Dieu était divin. Dans tous les pays du monde on admit comme article de foi qu’une prière écrite a une efficacité souveraine, et qu’un anathème gravé sur la pierre a d’infaillibles effets. Parmi les textes épigraphiques cités par M. Berger, il en est peu qui ne se terminent par une malédiction ; c’est encore une réflexion que feront tous ses lecteurs. Que demande à sa dame la Baalat de Byblos le roi Yehaumelek, fils de Yeharbaal ? « Quiconque, dit-il, soit personne royale, soit simple homme, surajouterait un travail à cet autel-ci et au portique que voilà, et quiconque… et quiconque… que la grande Baalat de Byblos extermine cet homme-là et sa postérité I » Préférez-vous l’inscription de la synagogue de Palmyre : « Le Seigneur éloignera de toi toutes ces mauvaises plaies d’Egypte que tu connais, mais il en frappera tous tes ennemis. » Les caractères de cette inscription ont un air anguleux et massif, et on leur a donné le nom d’hébreu carré.

L’écriture nabatéenne a une toute autre physionomie, elle soude les lettres les unes aux autres par des ligatures. Elle n’en était pas moins