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séparent aujourd’hui et qui nous font prédire et souhaiter à la musique de théâtre les directions les plus contraires et les plus diverses destinées.

Cavalleria rusticana, en français, Chevalerie rustique ( ? ) ne veut point dire, comme on pourrait le croire, mérite agricole, mais honneur de paysans. Turiddu, un gars de village sicilien, avant de partir soldat, avait aimé la belle Lola. De retour, la trouvant mariée au charretier Alfio, il cherche une autre conquête et séduit Santuzza. Mais bientôt repris par la coquetterie de Lola, il délaisse la pauvre fille. Santuzza, folle de douleur et de honte, supplie Turiddu de revenir à elle. Il la repousse. Celle-ci alors, égarée par la jalousie, s’en va tout conter au charretier. Les deux hommes se provoquent, à la sicilienne, en se mordant l’oreille ; ils se battent au couteau et Turiddu est tué. Ce drame violent et bref, de couleur populaire, se passe en une heure et demie au plus, entre l’auberge et l’église du village, un dimanche de Pâques, pendant la durée de la grand’messe.

La musique de M. Mascagni est très souvent banale, vulgaire souvent et je dirai même grossière d’idée et de style ; au moins n’est-elle jamais laide (cela est quelque chose aujourd’hui) ; parfois elle émeut et frappe au cœur ; elle a presque toujours le mouvement, la passion et la vie. A la science, au métier, qui lui manquent, M. Mascagni supplée par l’instinct dramatique ; à l’élégance de l’écriture, par la justesse d’un accent, d’un cri. Je reconnais qu’il a moins d’invention mélodique que de mémoire ; son œuvre, ainsi qu’il arrive à presque tous les jeunes et à quelques vieux, est hantée de revenans ; sous des motifs que je nommerais au besoin, on pourrait inscrire : donné par Gounod, par Bizet, par Massenet, par Verdi surtout ; comme dans un musée, et, vous le voyez, un musée de souverains. L’harmonie et le rythme pèchent trop souvent : l’une par indigence, l’autre par des allures dansantes ; l’instrumentation, par l’abus des effets connus et faciles, des sonorités d’opérette ou même de foire. De ces gros défauts, les exemples abondent ; c’est la très vulgaire chanson du charretier, que ne sauve pas, au dernier refrain, une rentrée pourtant heureuse et vive des chœurs ; c’est l’oiseuse et banale prière où se rencontrent le Massenet du Roi de Lahore et l’Adam du trop fameux Noël. Qu’est-ce encore ? Le dernier motif du duo entre Santuzza et Turiddu, l’intermezzo d’orchestre, plat unisson de violons accompagné de harpes, enfin la chanson à boire, où des oreilles françaises ne pouvaient pas ne pas reconnaître : J’ai du bon tabac.

Et pourtant, il y a quelque chose là ! Il y a, comme nous le disions plus haut, le sens du théâtre, la justesse et la force de certains mouvemens ; il y a parfois l’effet dramatique obtenu à l’italienne par les plus sobres moyens : par une mélodie à peine accompagnée, une simple