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inspirer au plénipotentiaire français le moins de confiance et d’attrait fut pourtant celle qu’à la dernière heure il dut lui-même prendre la responsabilité de préférer ; et le même récit laissera prévoir que de toutes les manières de terminer cette longue guerre, cette conclusion peut-être inévitable ne devait pas être pourtant la plus propre à établir entre ceux qui y avaient pris part un accord sincère et durable[1].


III

Parti de Paris dans les derniers jours de mars, Saint-Séverin s’arrêta à Bruxelles, où il trouva tout préparé pour la rentrée de l’armée française en campagne, et Maurice prêt à mettre la main à l’exécution du plan secret dont, autour de lui, personne n’avait encore confidence. — « Je vois nos deux maréchaux (Saxe et Lowendal), écrit-il à Puisieulx, si pleins de confiance que malgré tous les justes sujets d’inquiétude qu’on peut avoir sans être timide, je croirais presque aux pressentimens : la position me paraît belle. » — Puis il ajoute en réponse à quelques observations

  1. Pour rendre cet exposé tout à fait complet, j’aurais dû faire figurer parmi les résultats de la guerre auxquels la paix devait pourvoir, les faits dont les Indes orientales avaient été le théâtre : la prise de Madras par Mahé de La Bourdonnais et le siège de Pondichéry par les Anglais, qui durait encore au moment de la réunion du congrès. Mais je me suis abstenu de mentionner ces événemens dont la suite seule a fait sentir l’importance, parce qu’au moment où ils ont eu lieu, ils n’attirèrent que peu d’attention en Europe et ne paraissent avoir tenu presque aucune place dans la préoccupation des divers cabinets. Parmi les points discutés entre eux pour le rétablissement de la paix, je trouve partout la prise et la restitution de Louisbourg et du Cap-Breton, je ne rencontre jamais le nom de Madras ou de Pondichéry. Dans l’acte final qui termine la guerre, il est dit simplement que toutes les conquêtes faites soit en Europe, soit dans les deux Indes, seront restituées, sans aucune mention spéciale des lieux occupés dans les Indes orientales. — Je ne puis m’expliquer ce silence et cette indifférence (au moins de la part du gouvernement français) que par ce fait que la compagnie des Indes, de qui relevaient nos possessions coloniales dans ces régions, avait déclaré à ses agens qu’elle entendait ne pas profiter de la guerre pour se procurer un agrandissement de territoire. On ne considérait donc de part et d’autre les points occupés que comme des positions militaires dont la paix amènerait tout naturellement l’évacuation. C’est dans cette pensée et pour accomplir les instructions de la compagnie que La Bourdonnais, dans la capitulation de Madras, s’était contenté d’imposer à cette ville une forte contribution et qu’il annonçait l’intention de l’évacuer, quand le gouverneur de la colonie, le célèbre Dupleix, s’opposa à l’exécution d’une clause à laquelle il avait d’abord adhéré. De là, la vive contestation qui s’éleva entre ces deux hommes éminens et qui aboutit pour La Bourdonnais à une si rigoureuse condamnation. Ce conflit auquel évidemment on ne s’attendait pas et auquel on ne comprit rien en France, acheva de détourner absolument l’attention de ces incidens dont personne alors, pas plus dans le gouvernement que dans le public, ne parait avoir apprécié la portée.