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discussion pourrait l’amener à dévoiler prématurément le fond de sa pensée et de ses espérances[1]. Puis quand Sandwich veut couper’ court à l’entretien, il parle de la convenance qu’il y aurait à prier le roi de Prusse d’envoyer un représentant au congrès, et Kaunitz de se récrier à l’instant et de terminer à tout prix la conversation.

Quelques jours se passent ainsi, chacun restant en observation et en arrêt, quand subitement une bombe éclate. On apprend que le même jour, presque à la même heure, la ville de Maëstricht s’est vue abordée à la fois, sur la rive gauche de la Meuse, par le maréchal de Saxe lui-même, et sur la rive droite par le maréchal de Lowendal, et que, les deux généraux n’ayant plus qu’à se donner la main à travers le fleuve, cette place forte va être investie avant même qu’on soupçonnât qu’elle dût être attaquée.

C’était le secret de Maurice et le coup de partie qu’il avait tenu si soigneusement en réserve. Il ne pouvait oublier qu’à deux reprises différentes l’ennemi, battu sous les murs de Maëstricht, lui avait échappé parce que, pour des raisons diverses, il n’avait pu achever sa victoire en pressant les fugitifs, l’épée dans les reins, d’une des rives du fleuve à l’autre. La surprise pénible qu’il avait éprouvée, le lendemain de la journée de Lawfeldt, en voyant à son réveil les vaincus de la veille qui le regardaient, presque en le narguant, derrière un infranchissable cours d’eau ; ce mécompte, — qu’on lui avait tant reproché, et dont il ne pouvait au fond accuser que lui-même, — lui était resté sur le cœur, et il avait juré de n’être plus pris au même piège. Maëstricht serait à lui (il y allait de son honneur), et il en avait fait la promesse au roi : « La paix se fera dans Maëstricht, » lui avait-il dit ; mais la ville, ainsi condamnée d’avance, ne devait apprendre son sort que lorsque, enserrée de toutes parts, il serait trop tard pour qu’aucun de ses défenseurs pût lui venir en aide.

Dans cette vue, toutes les mesures prises par lui-même et sous ses yeux, et dont il paraissait uniquement préoccupé, furent combinées de manière à faire croire que, renonçant à une entreprise qui ne lui avait pas réussi, c’était du côté de la place, très importante également, de Bréda qu’il tournait sa pensée et ses efforts. Ce plan devait paraître même de sa part d’autant plus vraisemblable, qu’il avait opéré la même manœuvre avec succès après Lawfeldt en lâchant Maëstricht pour ne plus songer qu’à Berg-op-Zoom : et c’était de cette place même, sa dernière

  1. Sandwich à Newcastle, 29 mars 1748. (Record office.) — Kaunitz à Marie-Thérèse, même date. (Archives de Vienne.)