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Il recommençait cent fois ce récit, les yeux noyés et la voix entrecoupée. Mais quand il arrivait à la peur qui l’avait pris aux entrailles en lisant la nouvelle du meurtre sur les affiches collées à la hâte, à sa course folle à la Morgue et finalement à la reconnaissance du corps sur les dalles de marbre, alors il éclatait, incapable de se contenir, défaillant entre les bras des auditeurs dont l’émotion n’était pas moindre. Il revenait à lui cependant, sous les tapes affectueuses des camarades, accompagnées de petits verres qu’on lui faisait avaler de force pour le remettre.

La police s’appliquait à mener l’enquête avec décision et célérité. Elle sentait que le gibier ne devait pas être loin et qu’il fallait à tout prix qu’on l’arrêtât. La presse locale avait trop souvent raillé la maladresse des agens de Londres pour qu’il fût possible de s’exposer à ses brocards. Les attentats de Jack l’éventreur étaient encore dans toutes les mémoires. Un inconnu avait pu commettre impunément dix assassinats dans l’east-end, preuve accablante que le service de sûreté de la métropole ne méritait guère sa réputation. On saurait montrer à Liverpool ce que cachait de flair et d’astuce l’enveloppe quelque peu fruste des policiers municipaux. Autre terrain, autres hommes, rivalité de la province et de la capitale, question d’honneur. L’affaire tournait au sport et les conjectures allaient leur train. A coup sûr, elles n’étaient pas bienveillantes pour l’élément étranger que renferme la ville. Le criminel ayant en quelque sorte décelé, à ce qu’on croyait, sa profession et indiqué suffisamment qu’il appartenait à ce monde de matelots cosmopolites qui pullule dans le quartier maritime, on décida, de prime abord, que ce ne pouvait être un Anglais. Il n’y avait qu’un foreigner qui fût capable d’un tel forfait, et on énumérait avec complaisance, on signalait à l’autorité les garnis suspects, les cabarets borgnes, les auberges louches où les Allemands boivent leur bière, où les Italiens se querellent, où Russes et Français fraternisent. C’était assurément de l’un de ces antres que le malfaiteur avait surgi, à la recherche d’un mauvais coup, sans mobile apparent, simplement pour le plaisir de mal faire. Une commère ayant entendu dire, puis raconté, répété à droite et à gauche que le couteau appartenait à un marin de l’équipage d’un vapeur espagnol, les criailleries augmentèrent, le tapage grossit tant et si bien qu’on procéda précipitamment à la visite du navire. Peine perdue, on fit buisson creux.

Pendant ce temps, d’autres agens, — de fins limiers, de ceux qui font plus de besogne que de bruit, — étaient allés droit au but. Ils avaient entre les mains des objets dont, après tout, il ne serait pas difficile de découvrir l’origine. Ils firent, en conséquence,