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ministériel ne vient pas de M. le président du conseil ; elle vient de M. le ministre de l’intérieur lui-même, qui est un rusé tacticien et ne veut pas épuiser son crédit. M. le ministre de l’intérieur sent qu’à trop s’obstiner au pouvoir on finit par s’user, et il méditerait de s’éclipser momentanément, au risque de laisser ses collègues dans l’embarras, de provoquer une crise dont il ne tarderait pas à profiter. En un mot, M. Constans songerait à se ménager une bonne retraite, avec l’arrière-pensée de revenir au moment des élections pour lesquelles on le sait expert. — Tout bien compté, il n’en sera probablement rien de tous ces calculs, de tous ces commérages, et si, ce qui n’est pas impossible, le ministère est conduit à quelque mésaventure, ce n’est pas parce qu’il sera victime de petites tactiques inavouées ou de ce qui aura été dit dans d’obscurs conciliabules : c’est parce qu’il n’aura pas été assez un gouvernement, c’est parce qu’il fléchira sous le poids des difficultés, des mauvaises affaires qu’une fausse politique aura préparées.

Les mauvaises affaires, qui sont toujours le fruit des idées fausses et des faiblesses de direction, — elles sont déjà assez nombreuses, — et la plus grave, la plus compliquée, la plus périlleuse peut-être, d’une certaine façon, est vraiment cette expérience commerciale à laquelle la France est désormais soumise. C’est le 1er février qu’a été décidément inaugurée l’application des nouveaux tarifs, ce qu’on peut certainement appeler une grande aventure. Les chambres l’ont voulu, le gouvernement l’a sanctionné, c’est fait ! Il reste maintenant à suivre l’œuvre à l’exécution, à voir quelles seront les conséquences pratiques multiples de ce régime nouveau qui est, en fin de compte, une révolution dans notre économie intérieure comme dans nos rapports avec tous les autres pays du monde. Tout ce qu’on peut dire, c’est que, si révolution il y a, elle est l’ouvrage du parlement encore plus que du gouvernement, qui, après avoir tout subi, a aujourd’hui le rôle ingrat de tout exécuter et de tout diriger.

Sans doute on ne peut pas prévoir tout ce qui sortira de l’ordre nouveau. Ce serait une témérité de prétendre dire d’avance quelle sera l’action des tarifs récemment votés sur le marché français, sur la consommation publique, sur le travail national, d’évaluer des effets qui ne se manifesteront que par degrés. On n’en est encore qu’aux préliminaires, à la transition, — une transition d’autant plus obscure que la spéculation s’est hâtée naturellement de profiter des derniers jours de l’ancien régime pour encombrer nos frontières de produits étrangers. On ne verra que peu à peu, à mesure qu’on rentrera dans des conditions normales, ce qui en sera sur le marché intérieur. Pour nos relations avec les autres États, surtout avec les nations voisines, c’est une autre affaire ; on peut voir déjà quelques-unes des conséquences de ce nouvel ordre économique si bruyamment inauguré. Ce qui apparaît du