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premier coup, c’est qu’on est entré dans cette épineuse et redoutable expérience avec de singulières illusions. On n’a voulu rien voir et rien entendre. On a cru que rien n’était plus simple que de se hérisser dans ses frontières, que la France devait se suffire à elle-même, qu’elle n’avait à consulter que ses intérêts sans compter avec les intérêts des autres, qu’elle pouvait faire face à tout avec le jeu de ses deux tarifs. On a traité presque d’alarmistes et d’esprits chimériques ceux qui témoignaient quelque inquiétude, qui prévoyaient que le protectionnisme conduisait la France à l’isolement, à un isolement politique aussi bien qu’à l’isolement commercial. On a eu la naïveté de croire qu’on allait trouver toutes les portes ouvertes pour des négociations nouvelles, qu’on pouvait tout à la fois dénoncer les anciens tarifs conventionnels et réserver dans nos traités les garanties pour la navigation, pour l’établissement de nos nationaux, pour la propriété artistique et littéraire, etc. Bref, on a vécu d’illusions ; on s’est figuré que rien n’était plus facile que de faire tout accepter, de régulariser nos relations, de sauvegarder nos intérêts en offrant pour toute faveur un tarif minimum qui est lui-même fort élevé, et que tout le monde serait trop heureux de se prêter à nos vues ; M. le ministre des affaires étrangères n’a pas tardé à s’apercevoir que ce n’était pas aussi aisé qu’on l’avait cru, qu’on lui avait créé une véritable impossibilité, et l’histoire des dernières négociations qu’il a engagées est l’histoire de ses mécomptes ; elle met à nu une situation qui n’a peut-être encore rien d’irréparable, — qui n’a sûrement, dans tous les cas, pour l’instant, rien de brillant ni d’absolument rassurant.

La vérité est que, depuis le 1er février, nos relations restent pour ainsi dire en l’air, qu’avec les uns, avec l’Italie par exemple, avec le Portugal, elles sont réglées par le tarif maximum qui est un tarif de guerre, qu’avec les autres, même avec ceux qui ont la meilleure volonté, elles sont tout ce qu’il y a de plus précaire et de plus provisoire. Qu’il y ait eu des égards, de la courtoisie, des paroles de sympathie ou de regret dans les négociations suivies avec des États amis, c’est possible, on n’en doit pas douter : le résultat n’est pas moins ce qu’il est, assez médiocre, pour ne pas dire nul.

Avec la Suède-Norvège, tout a été encore assez facile. On s’est arrêté à la prorogation du traité de commerce et de navigation de 1881 « pour une durée de douze mois ; » c’est le plus long provisoire ! Avec la Hollande qui a une législation douanière assez libérale et qui ne se propose pas de la changer, on s’est entendu pour maintenir une situation telle quelle, — mais une situation perpétuellement révocable, sans garantie, sans engagement, avec la réserve d’une complète liberté d’action. Avec des nations comme la Belgique et la Suisse, la question se complique et s’anime. Ni la Belgique, ni la Suisse n’ont voulu entendre parler de notre tarif minimum, comme d’une « base