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surtout à la société, ce qui doit décider de la vie et des œuvres des corporations nouvelles, c’est l’âme dont ce corps sera animé. Ces associations vaudront ce qu’en vaudra l’esprit, et la forme du vase nous inquiète moins que le vin qui doit y être versé. Le pape est donc bien dans la question, quand il soutient que c’est du spirituel qu’il faut s’occuper avant tout. Veut-on qu’elles soient un instrument de prospérité pour les ouvriers et un agent de pacification pour la société, il faut d’abord, aux yeux de Léon XIII, que ces associations ouvrières fassent une place à Dieu. Sans Dieu et sans l’esprit chrétienne pape n’en attend rien de bon. « Tout en ayant pour but l’accroissement des biens du corps, de l’intelligence et de la fortune, ces associations, nous affirme le saint-père, doivent viser, avant tout, à ce qui est l’objet principal de la vie humaine, au perfectionnement moral et religieux. » C’est l’éternel mot de l’Évangile : Quœrite primum regnum Dei ; et ici encore l’on pourrait ajouter : le reste vous sera donné par surcroît. Certes, le souverain pontife est en droit de nous le promettre : avec des sociétés professionnelles, assises sur le fondement de la religion et inspirées de l’Évangile, il sera relativement facile de « déterminer les relations mutuelles des associés et de concilier les droits et les devoirs des patrons avec les devoirs et les droits des ouvriers. » De même, en cas de contestation entre les deux classes, patrons et ouvriers n’auront pas de peine à s’entendre « pour charger des hommes prudens et intègres, tirés de leur sein, de régler le litige en qualité d’arbitres. » L’esprit de paix habitant en elles, avec l’esprit de Dieu, ces chrétiennes corporations seraient aisément un instrument de paix.

Mais est-ce de ces associations chrétiennes, de ces pieuses confraternités fondées sous le patronage des évêques et bénies par l’Église, que nous voyons surgir, de tous côtés, autour de nous ? Est-ce à ces corporations pacifiques, à ces doux troupeaux de brebis évangéliques, respirant la mansuétude et la charité, que ressemblent les syndicats ouvriers dont les revendications grondent sous nos pieds ? Elles sont peu nombreuses, hélas ! aujourd’hui, ces chrétiennes corporations qui ont jadis couvert la France, les Flandres, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne des monumens insignes de leur génie et de leur foi ; ces glorieuses guildes d’artisans qui se réunissaient dévotement dans leurs chapelles, au jour de leur saint patron, et qui, dans les fresques ou les verrières de nos cathédrales, nous ont légué tant d’admirables témoignages de leur puissance et de leur prospérité. Les temps ont changé, de nouvelles classes ouvrières ont grandi, bien différentes de leurs devancières. Ces anciennes corporations, nées sous le patronage de l’Église, je ne sais s’il serait beaucoup plus facile de les faire revivre que