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bord, qu’on a peur de la voir crouler dans les précipices. Peu à peu, le soleil descend dans le ciel enflammé, étoilant d’étincelles les maisons de Phalère et du Pirée, et posant sur les eaux du golfe Saronique de larges et aveuglantes splendeurs. Salamine, toute violette, flotte dans la pourpre et l’or. La côte de la Morée apparaît vaguement, dans le miroitement de la mer. La plaine de l’Attique se voile d’ombre, au pied du Parnès, qui bleuit lentement. Mais, du côté de l’Orient, l’Hymette, ample et large, est tout rose ; n’essayez pas de retenir et de fixer cette nuance fugitive et changeante ; maintenant, il est couleur de lilas, de mauve, de violette. Et les tons s’effacent, les couleurs s’amortissent, les reflets meurent… Le soleil s’éteint dans la fraîcheur des eaux.

Lorsqu’on redescend vers la ville, qui, à cette heure divine, allume timidement ses becs de gaz, comme si elle avait peur d’effaroucher les dieux qui ont fait le soleil si rayonnant et la lumière si belle, on se dit qu’aujourd’hui, comme aux temps antiques, Pallas-Athéna veille encore, tout armée, sur cette terre, et qu’il ne faut pas chercher ailleurs que sur la colline sacrée le génie et l’âme de la cité.


II

Les Grecs ont bien fait de ne pas écouter les conseils prétendus « pratiques » de ceux qui les engageaient à établir leur capitale à Egine ou à Patras. Sur ce point, comme sur bien d’autres, les plus enthousiastes se sont trouvés les plus avisés, et l’idéalisme a prévalu sur la sagesse vulgaire des petits docteurs de la science politique. En dépit de toutes les belles dissertations qu’on leur fit entendre sur le mouvement des ports et des statistiques qu’on leur fit lire, ils se sont entêtés à vouloir installer derrière l’Acropole le palais du roi et le siège du gouvernement. Il ne faut pas chicaner, sur ses fiertés archéologiques, un peuple pour qui le présent n’est pas toujours clément, et qui s’en console en songeant à son passé : il n’est pas donné à tout le monde d’avoir reçu l’Acropole en héritage. Le vrai centre de l’hellénisme est à Athènes. L’Acropole est un rempart et une parure. L’empereur d’Allemagne, il y a quelque temps, lançait d’Athènes à Berlin des télégrammes lyriques que le château de Belgrade, le konak de Sofia ou la métropole de Bucharest ne lui auraient point inspirés. Derrière cette citadelle, où il n’y a ni murs, ni soldats, ni canons, les Athéniens sont mieux couverts que derrière une forteresse blindée. Il faudrait que l’esprit des nations modernes fût modifié du tout au tout, pour qu’une flotte se permît, comme celle de Morosini, de bombarder cette