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sont « rentrés d’Europe, » la vie sociale commence, et les gens riches lancent les premières invitations pour les bals de la saison.

La société athénienne se compose principalement de diplomates de tous pays. Le corps diplomatique, ou, comme on dit là-bas, τὸ διπλωματιϰὸν σῶμα (tô diplômatikon sôma), exerce sur le peuple grec un ascendant irrésistible, dont les motifs sont aisés à deviner. D’abord les Hellènes se figurent que, pour réussir dans la « carrière, » il est nécessaire d’être très rusé ; et ils ne seraient pas dignes d’être appelés descendans d’Ulysse s’ils n’avaient pas un grand respect pour des gens qui se flattent de connaître les paroles mielleuses et les détours secrets par où l’on trompe les autres hommes. Ensuite, ils croient que les nations choisissent toujours leurs représentans parmi les personnages les plus riches, les plus intelligens, les plus vertueux, parmi ceux qui sont appelés à bon droit les princes du peuple. Ils s’imaginent que la valise diplomatique et l’âme des secrétaires et attachés ne renferment que des affaires d’État. Aussi la secrète ambition de toutes les jeunes filles d’Athènes est d’unir leur destinée à celle de ces hommes, à la fois solennels et sourians, dont les habits sont étincelans de broderies et constellés de décorations. Un rêve inouï de grandeurs surhumaines, de voyages en sleeping-car, de promenades en voiture, de bals sans fin et de cotillons ininterrompus, éblouit ces folles et enfantines cervelles, à la vue de ces dignitaires chamarrés et graves, dont la vie se passe à dîner en ville et à faire la révérence devant les rois. Plusieurs Athéniennes, de grande beauté, ont déjà réalisé ce songe d’une nuit d’hiver. Je connais des ministres plénipotentiaires dont la froideur professionnelle s’est attiédie au contact d’une grâce souple et maligne et dont le flegme a cédé au prestige insolent des yeux épanouis. Il n’est pas rare de voir, dans les capitales, petites ou grandes, des filles de Palikares, qui ont échangé la « liberté sur la montagne » contre une volière dorée et qui sont devenues baronnes autrichiennes, princesses polonaises ou marquises espagnoles. Les mauvaises langues prétendent que ces mariages de vanité ne sont point solides, que le lendemain des noces est parfois décevant et triste, que ces jolis oiseaux, une fois dépaysés, deviennent insupportables, qu’ils veulent s’enfuir à tire-d’aile vers le pays natal, que la vulgarité du pot-au-feu répugne à leur fantaisie, que ces houris adorables deviennent tout à coup d’impitoyables jurisconsultes et se souviennent que le divorce est inscrit, à une place d’honneur, dans la législation des Hellènes. Après tout, les moralistes moroses auront beau déclamer et médire ; la plus belle fille du monde, même à Athènes, ne peut donner que ce qu’elle a. Faut-il en vouloir à ces exquises poupées si elles ne possèdent au