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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 110.djvu/209

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UN SÉJOUR À ATHÈNES.

des fumoirs et étalèrent, sur des tables, des viandes froides, des pâtés de gibier et des vins plus agréables au goût que les crus les plus renommés du Parnès, de Marathon et de Décélie. On vint. Les premiers arrivés firent envie aux autres. C’est ainsi que plusieurs tasses de thé ont opéré la fusion des classes et que les figures du cotillon, en mêlant les partis, ont apaisé les haines sociales.


IV

Les Grecs sont un peuple danseur. Les mondains d’Athènes, ayant quitté la fustanelle pour l’habit noir, ne dansent plus, — du moins sous les yeux des étrangers, — le syrto national, farandole assez semblable aux évolutions du chœur antique, ni le fameux ballo des danses populaires, véritable solo chorégraphique, plein d’entrechats savans et de gestes arrondis, triomphe des bonnes gens de Tripolis et de Kalamatta. La jeune Grèce a décidément adopté le τετράχορος (tetrachoros) (quadrille) et le στρόϐιλος (strovilos) (valse). Tout jeune Athénien qui se respecte a soin de se munir, au commencement de l’hiver, de deux choses indispensables : un habit noir et un abonnement chez le khorodidascale (maître à danser). Il y a, aux environs de la rue Solon, de véritables académies où l’on enseigne encore ce que J.-J. Weiss appelait « les danses mortes. » Les stagiaires de l’Aréopage y exécutent avec zèle cette figure bizarre, que nos pères appelaient la demi-queue-de-chat ; et, de temps en temps, le khorodidascale s’écrie, d’une voix de Stentor : Μπαλανσέ ϐό ντάμ ! (Balanse vo dam !) ce qui veut dire : « Balancez vos dames ! »

Les banquiers de la rue du Stade, qui ont des salons et qui les ouvrent, s’efforcent de copier fidèlement le décor, le costume et les accessoires des bals parisiens. Pour édifier l’Europe sur l’élégance de la démocratie athénienne, ils attirent les voyageurs de marque, les ingénieurs de la mission des travaux publics, les membres des écoles étrangères. L’Institut impérial allemand est généralement écarté, comme trop hirsute.

Les bals importans sont d’ordinaire prévus longtemps à l’avance. Il est admis que les cavaliers peuvent faire leurs invitations quinze jours avant la fête. Les Athéniens organisent alors une campagne de visite et marchent à la conquête des beautés les plus renommées. Les étrangers, plus timides ou moins répandus, sont un peu réduits à faire tapisserie, à causer avec de vieilles gens ou à risquer τὸ ϰαδρίλλ τῶν λανσιέρων (to quadrill tôn lansierôn) avec des institutrices françaises, venues, pour la plupart, des cantons de la Suisse. C’est une déception très amère. Mais on a le loisir de regarder autour de soi les Athéniennes, dont les pieds frétillent au seul espoir des cotillons attendus. Elles portent avec une élégance aisée, peut-être avec un imperceptible charme d’exotisme,