Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 110.djvu/620

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
I

— Que penses-tu qu’elle ferait si elle nous attrapait ? demanda Maisie.

— Je serais battu et elle t’enfermerait dans ta chambre, répliqua Dick sans aucune hésitation. As-tu les cartouches ?

— Oui, elles sont là dans ma poche, et terriblement secouées. Crois-tu qu’elles puissent partir toutes seules ?

— Prends le revolver, si tu as peur, et laisse-moi les porter.

— Je n’ai pas peur.

Maisie avança lestement, une main dans sa poche, le menton en l’air. Dick la suivait, chargé d’un petit pistolet. Les deux enfans s’étaient persuadé que leur vie serait insupportable s’ils ne la charmaient pas par l’exercice du tir. Après de longues combinaisons et en se privant de tout, Dick avait mis de côté sept shillings six pence, le prix d’un mauvais revolver belge. Maisie n’avait apporté qu’une demi-couronne à la communauté pour l’achat d’une centaine de cartouches.

— Tu peux économiser beaucoup mieux que moi, Dick, avait-elle expliqué ; j’aime à manger de bonnes choses, et toi, tu n’y tiens pas. De plus, c’est le devoir d’un garçon.

Dick grogna un peu, puis il accepta l’arrangement et réussit à se procurer en cachette l’arme précieuse dont on allait maintenant faire l’essai. Il n’était pas probable que cette acquisition d’un revolver trouvât grâce devant la veuve irascible qui était censée servir de mère aux deux orphelins. Depuis six ans, Dick était confié à sa sollicitude et elle détournait l’argent attribué à l’entretien du pauvre diable, elle lui prodiguait de haineuses rebuffades. Tout le temps qu’elle pouvait dérober au ménage, Mrz Jennett le consacrait à l’éducation de son pensionnaire, éducation de famille, comme il lui plaisait de l’appeler. Sa religion, fabriquée avec l’aide d’une intelligence étroite et de l’étude assidue des Écritures, l’aidait en cette matière. Même quand elle n’était pas personnellement mécontente de Dick, elle lui donnait à entendre qu’il aurait un compte très lourd à régler avec son Créateur. Il s’ensuivit que Dick apprit à ne pas pouvoir souffrir son Créateur plus qu’il ne pouvait souffrir sa gardienne. Cet état d’âme est malsain pour la jeunesse. La veuve avait décidé qu’il était un menteur incorrigible le jour où la crainte du châtiment le poussa, pour la première fois, à déguiser la vérité ; il lui donna raison par la suite, dans une certaine mesure, pratiquant ce vice du mensonge avec économie, se défendant de faire le conte le plus innocent quand il pouvait l’éviter, mais ne reculant pas