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devant les plus noires inventions si elles devaient contribuer à rendre pour lui l’existence un peu moins pénible. Les mauvais traitemens qu’il subissait eurent l’avantage de lui apprendre à s’isoler, et ce pouvoir, assez rare, lui fut très utile quand il fréquenta une école publique où les élèves se moquaient de ses habits, toujours de qualité médiocre et raccommodés à l’excès. Les vacances venues, il retombait sous la griffe de Mrs Jennett, qui, dans la crainte que la chaîne d’une discipline nécessaire ne se relâchât au contact du monde, le battait habituellement, sous un prétexte ou sous un autre, avant la fin de la première journée passée sous son toit hospitalier.

L’automne d’une certaine année mémorable amena cependant à Dick un compagnon d’esclavage, un atome de petite fille aux longs cheveux et aux yeux gris, méfiante et contenue autant que lui-même, qui allait et venait par la maison en silence, et qui, durant la première semaine, n’adressa guère la parole qu’à un bouc familier, du nom d’Amomma, l’unique ami qu’elle eût au monde. Mrs Jennett s’opposait à cette intimité avec un bouc, sous prétexte que ce n’était pas chrétien.

— En ce cas, dit l’atome très délibérément, j’écrirai à mes hommes d’affaires que vous êtes une méchante femme. Amomma est à moi, il est à moi !

Mrs Jennett fit un mouvement vers le vestibule où étaient accrochés les parapluies et les cannes. L’atome comprit aussi bien qu’eût pu le faire Dick lui-même.

— J’ai été déjà battue, dit-elle de la même voix calme ; j’ai été battue plus fort que vous ne pourrez jamais me battre. Si vous me battez, j’écrirai à mes hommes d’affaires que vous ne me donnez pas assez à manger. Je n’ai aucune peur de vous, allez !

Mrs Jennett ne fit pas usage des cannes, et la petite fille, après une minute d’attente pour s’assurer que tout danger était passé, sortit dans le jardin, où elle alla pleurer sur le cou d’Amomma.

Dick apprit à la connaître par le diminutif de Maisie, et d’abord se méfia d’elle, car il craignait qu’elle ne s’avisât de lui ôter, en l’accaparant, le peu de liberté d’action qu’il possédait. Mais non, elle attendit qu’il eût fait les premiers pas. Longtemps avant la fin des vacances, le joug des punitions partagées rapprocha les deux enfans ; ils complotèrent ensemble d’affreux mensonges que goba Mrs Jennett, et, quand Dick reprit le chemin de l’école, Maisie lui dit à voix basse :

— Maintenant je serai toute seule pour me tirer d’affaire ; mais, — elle secoua la tête bravement, — j’en viendrai à bout. Tu as promis d’acheter un collier à Amomma ; envoie-le bientôt.

Huit jours après, elle réclama ce collier par le retour de la poste,