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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 110.djvu/650

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qu’il soit des critiques sans valeur, se sera laissé influencer par l’opinion hostile à Maisie. On jugeait généralement que cette fille sans cœur était incapable de venir à résipiscence, indigne d’être touchée par la grâce de l’amour ; sa transformation soudaine n’inspirait de confiance à personne. Peut-être Kipling a-t-il été sensible surtout au tolle des pessimistes, partisans comme lui du duel entre les sexes et qui veulent que ce duel soit un duel à mort. On l’aura piqué dans son amour-propre de lutteur impassible en lui reprochant de devenir sentimental, de sorte que l’édition définitive de the Light that failed nous montre Maisie obstinée malgré tout à vivre seule sa propre vie, Bessie reparaissant pour confesser, dans une scène inutilement désagréable, qu’elle a gratté la Melancolia, et Dick réduit à retourner en Orient où l’une des balles qui sifflent sans relâche autour de Suakim lui fait l’aumône de la mort. C’est fort pénible et c’est peut-être moins vrai. Il n’arrive guère qu’un être humain, homme ou femme, reste d’un bout de son existence à l’autre exactement semblable à lui-même, et nous pourrions citer maint exemple de femmes notamment chez qui la pitié a été plus forte que toutes les résolutions. D’ailleurs, si le sexe jadis faible possède une qualité bonne ou mauvaise, c’est, nul ne le niera, la spontanéité. Les reformes qui commencent auront beaucoup de peine à la lui faire perdre. Pour différente de ses devancières que puisse être la femme de l’avenir, le dernier rôle qu’elle abandonnera sera celui de consolatrice. On nous dit que Maisie est intelligente : elle doit donc finir par comprendre qu’il n’y a pas de succès comparable à celui de réconcilier avec l’effacement absolu de l’univers extérieur, un coloriste effréné de la trempe de Dick Heldar.

Libre au lecteur morose de faire ses réserves. Rien ne prouve, en effet, nous le lui accordons, que cette indépendante soit capable de rester très longtemps à la hauteur de son sacrifice ; rien ne prouve non plus que Dick puise jusqu’à la fin dans cette source de tendresse qui jaillit par miracle une compensation suffisante aux jouissances perdues de son art, mais l’un et l’autre auront goûté, quoi qu’il arrive, l’instant extra-humain qui compte plus à lui seul que le reste de la vie ensemble et sur lequel tout romancier a le droit de clore une histoire. Peu importe ce qui suit. Le rideau tombe sur un prélude de bonheur peut-être irréalisé, qui certainement ne durera que ce que dure le bonheur, et les plus amers déboires peuvent être imaginée par quiconque manque