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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 110.djvu/688

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du sol et projetait si loin son ombre, qu’on ne distinguait d’abord ni les colonnes de cèdre qui entouraient l’édifice, ni les portes qui y donnaient accès.

Mais, de près, au pied du soubassement de marbre qui élevait le temple au-dessus du sol, tout l’intérieur du sanctuaire apparaissait dans un seul regard par les larges baies ouvertes sur le portique.

Des centaines de statues de dieux et de demi-dieux l’emplissaient, évoquant aux yeux la vision du monde supérieur où vont les âmes libérées de la vie, les êtres radieux qui sont affranchis à jamais des transmigrations humaines.

Au fond du temple, dans un lointain mystérieux, à travers la fumée bleuâtre qui montait sans cesse des brûle-parfums, la statue du Bouddha se dressait gigantesque sur son lit de lotus : toute dorée, elle rayonnait au milieu des autres dieux, les dominait tous, emplissait le sanctuaire de son âme.

Auprès du second des étangs, étaient groupés des bâtimens de moindre apparence : c’était l’habitation des religieuses dont les cellules s’ouvraient à la file sous de longues vérandahs, puis le pavillon des cloches, le trésor des reliques et tous les services de la communauté.

Enfin, au bord du plus petit étang, on ne voyait qu’une simple pagode enfouie dans un bosquet de camélias, d’azalées et de mimosas.

L’édicule était consacré à la déesse Kouan-yn, « déesse de la Grâce, reine auguste du ciel lumineux, grande maîtresse à la robe blanche, grande déesse toujours pure, toujours douce et compatissante. » Son image seule y figurait, peinte sur un panneau de soie appendu au mur. Elle était représentée en longs vêtemens blancs, une fleur de lotus à la main, la tête nimbée d’or, telle que jadis elle s’avançait sur les flots azurés de la mer orientale, apportant aux hommes, pour alléger leurs souffrances, le charme de sa pensée, la douceur de ses paroles et la miséricorde infinie de son cœur.

Sur le sol, aux pieds de la déesse, un rameau de saule trempait dans un calice de bronze, le rameau symbolique des aspersions sacrées avec lequel Kouan-yn jette aux âmes altérées les gouttes bienfaisantes de la liqueur sainte. Deux cierges de cire rouge allumés sur l’autel entretenaient dans la chapelle une vague clarté, une douce lueur ; et le parfum des fleurs de magnolia qui emplissaient les vases mystiques se mêlait aux senteurs de l’encens qui brûlait perpétuellement. Cette chapelle et le bois de camélias et d’azalées qui l’entourait formaient comme une retraite