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dans le couvent, tant le lieu était calme, silencieux, enveloppé de mystère, et propice au recueillement.

Un caractère particulier de sainteté marquait aussi le petit étang où, vers le soir, la pagode baignait son ombre. Les fondatrices du couvent en avaient fait un vivier sacré, car en y jetant des semences de lotus, le Bouddha avait signifié sans doute qu’on y devait pratiquer spécialement son précepte favori : « Aie toujours une larme et un sourire pour les créatures animées ; ne refuse jamais une pensée d’amour aux plus humbles des êtres qui reçurent la vie sur la terre et dans les eaux. » Aussi, toutes sortes d’animaux aquatiques, poissons, tortues, anguilles, serpens d’eau, y étaient entretenus par les soins des religieuses : chaque soir, elles leur donnaient la nourriture, et, trois fois l’an, des prêtres bouddhistes venaient processionnellement leur jeter des gâteaux de riz où l’on voyait figurer le croissant de la lune, déesse des eaux.


II

Par un soir de printemps, une jeune fille vint se présenter à la supérieure de la congrégation : elle demandait à prononcer immédiatement ses vœux, et à revêtir sans noviciat la robe blanche et violette des religieuses. Elle s’appelait Leï-tse et entrait à peine dans sa dix-huitième année.

Des malheurs tragiques l’arrachaient, si jeune, à la vie du monde et l’amenaient en ce couvent. Elle avait perdu coup sur coup son père, qu’une disgrâce subite avait précipité du faîte des grandeurs, et qui avait payé de la tête une fortune trop insolente, ses deux frères qui avaient péri dans les supplices en refusant d’avouer les crimes paternels, sa mère, qui de douleur s’était laissée mourir, enfin, son fiancé même, qu’une sentence d’exil avait relégué pour jamais aux frontières désolées de la Mandchourie.

Désormais sans appui, sans famille, sans amour, sans aucun lien qui la rattachât à la terre, l’orpheline, renonçant à un monde qui ne lui réservait plus que souffrance et misère, était venue chercher asile au couvent des Lotus.

Ses premières impressions furent pleines de douceur. Après tant d’angoisses et d’épreuves, de terreurs et de larmes, elle trouvait enfin le repos.

La beauté du site, l’aspect calme des étangs et la majesté tranquille de la forêt exerçaient sur elle une bienfaisante influence ; le silence qui régnait dans toutes les parties du monastère et qu’interrompait seulement le murmure des oraisons lui laissait