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sycophantisme fut érigé en vertu civique. Sous Ferdinand II, la censure, qui avait été soumise quelque temps à la surveillance et au contrôle de l’université, était passée aux mains des jésuites, lesquels conservèrent ce privilège jusqu’au temps de Marie-Thérèse. Les révérends pères s’acquittaient de leur nouvel emploi avec un zèle méritoire, mais indiscret. Ils pénétraient dans les maisons, les fouillaient du haut en bas, de la cave au grenier, et livres, brochures, journaux, toute écriture malsaine était livrée aux flammes avec accompagnement de psalmodies et d’exorcismes. Les gazetiers qui avaient assisté à ces exécutions se sentaient tenus d’avoir ou la prudence du serpent ou l’innocence de la colombe, et assurément, si beau que soit le Danube, Vienne n’était pas pour eux le séjour des plaisirs.

Cependant, après la pacification des troubles religieux de l’Allemagne, cette haine effroyable pour la lettre moulée fit place à des sentimens plus raisonnables et plus doux. On se ravisa ; on se dit que, ne pouvant détruire la presse, il fallait en tirer parti, apprendre à s’en servir et faire de nécessité vertu. En 1703, comme l’avait fait Richelieu près d’un siècle auparavant, le gouvernement impérial résolut d’avoir ses journaux officiels. On accorda à la famille de Ghelen le droit de publier un Mercure, « destiné, disait-on, à fournir au public des informations exactes sur les événemens importans, accompagnées de curieux raisonnemens et de réflexions politiques. » Il va sans dire que les journalistes n’avaient pas besoin de se creuser la cervelle pour servir à leurs lecteurs ces réflexions profondes et ces curieux raisonnemens ; ils étaient tenus de redire, sans y changer un mot, la leçon qu’on leur avait soufflée.

Quelques mois après, l’imprimeur de la cour, Jean-Baptiste Schönewetter, publiait un second journal non moins officiel, intitulé Wienerische Diarium, qui plus tard changea de nom et s’appela Gazette de Vienne ; c’est la même Wiener Zeitung qui paraît encore aujourd’hui et qu’on a surnommée le Nestor de la presse viennoise. Ces deux feuilles, créées la même année, se ressemblaient comme deux jumeaux. Elles donnaient les mêmes nouvelles, accompagnées des mêmes réflexions. La chancellerie impériale avait compris que la même chose, dite deux fois, en devient deux fois plus vraie, et quel empire exerce sur les esprits cette figure de rhétorique qu’on appelle la répétition. Le Diarium avait promis dès ses débuts que ses récits seraient purs de tous faux ornemens, « de tout fard oratoire ou poétique. » Il avait tenu sa promesse ; il était rédigé dans un style de protocole, dont l’aride sécheresse ne laissait rien à désirer. Toutefois, si pour l’acquit de sa conscience, on s’appliquait à être parfaitement ennuyeux, on se permettait d’égayer la matière et d’allécher l’abonné en joignant aux correspondances politiques et aux curieux raisonnemens des annonces de