Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 110.djvu/709

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

condition de ne pas dire un mot pouvant déplaire à quelqu’un ou tendant à quoi que ce fût. Bien qu’il n’y eût pas deux jacobins dans Vienne, on ne songeait plus qu’à se protéger contre l’infection des idées révolutionnaires. En 1793, il fut défendu aux journaux d’insérer dans leurs colonnes une seule phrase qui pût être interprétée comme un éloge de la révolution française. En 1795, on publia une nouvelle loi d’ensemble sur la censure, contenant un article 4 aux termes duquel il était interdit de publier quoi que ce soit sans le consentement préalable de l’autorité. Quelque vénielle infraction qu’on fît à cette règle, l’édition était confisquée et mise au pilon, le privilège était retiré, et le délinquant devait acquitter une amende de 50 florins pour chaque exemplaire tiré ; en cas de non-paiement, il était condamné à un jour de prison pour chaque florin impayé. Comme le remarque M. Zenker, si on avait tiré à mille exemplaires, l’amende montait à 50,000 florins convertissables en cent trente-sept années de prison. C’est assurément une des plus belles lois sur la presse qui aient jamais été édictées.

Quand M. de Metternich eut pris en main les affaires, les mesures imbéciles furent remplacées par des méthodes plus raffinées, par les artifices d’un despotisme ombrageux, mais avisé. Le chancelier avait trop d’esprit pour ne pas comprendre tout le parti qu’un gouvernement peut tirer d’une presse savamment organisée. Il avait à son service un publiciste de premier ordre, Frédéric Gentz, passé maître dans l’art d’accommoder la vérité à ses passions et de donner de belles couleurs au mensonge. « Mépriser l’opinion publique, lit-on dans les papiers posthumes du prince de Metternich, est aussi dangereux que de mépriser les principes moraux ; si ces derniers peuvent renaître là même où on aurait voulu les étouffer, il n’en est pas ainsi de l’opinion ; elle demande un culte particulier, une suite et une persévérance soutenues. » Le culte particulier qu’il rendit à la presse fut de créer, par le conseil et sous la direction de Gentz, deux journaux, une Gazette de la cour, recueil de documens officiels, et un journal politique, le Beobachter autrichien, destiné à convaincre l’univers que M. de Metternich ne s’était jamais trompé et que, jusqu’à la fin de sa carrière, il ne se tromperait jamais. « Le but de cette feuille, était-il dit dans une dépêche de la chancellerie, est de servir de journal semi-officiel. Soumise en apparence aux lois communes de la censure, en réalité elle dépend uniquement du département des affaires étrangères. »

Quant aux autres feuilles, le chancelier en subventionnait quelques-unes, comme il avait pris à sa solde quelques journaux étrangers. C’était, comme on voit, un système savant ; il n’avait qu’à dire un mot, tous les échos répondaient. Les journaux qu’il ne payait pas, il les tenait de très court. Toutefois on les autorisait à parler avec une entière liberté de tout ce qui se passait au théâtre, sur la scène et dans