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recherches « de vaines curiosités, incapables de porter atteinte au fond des choses. » Lui aussi, il a des raisonnemens drôles, quand il abonde dans son sens. Cela n’empêche que le Discours sur l’Histoire universelle, cet ouvrage tant raillé, est le seul livre qui supporte la lecture à Rome, avec les poètes ; parce qu’il semble calqué sur Rome, animé de la même vie organique ; parce que la série des faits s’enchaîne avec la même liaison et la même ampleur sur ces pages et sur ces pierres. Il avait l’œil recomposant, cet homme. Pourquoi sa façon de voir la vérité ne serait-elle pas aussi légitime que notre procédé analytique ? Dernièrement, comme j’avançais des doutes sur ce procédé en parlant de Lamartine, un critique du sens le plus délicat m’a prêté cette affirmation : Il ne faut pas dire la vérité aux hommes, il faut les bercer avec l’illusion idéale. — J’ai dû m’expliquer bien gauchement, puisque je n’ai pu me faire comprendre d’un esprit aussi fin. Je ne serai jamais coupable d’un pareil blasphème. Il faut dire aux hommes tout le peu de vérité qu’on aperçoit. Je crois seulement que la vérité ne réside pas où vous la placez, dans ces légères toiles d’araignée où l’on nous dit qu’elle est balancée ; je crois qu’elle se retransporte ailleurs, là où d’autres l’ont vue avant nous. Car la vérité joue pour nos faibles yeux comme la lumière dans un ciel chargé de nuages ; la lumière est une et emplit tout ce ciel ; mais selon les heures, la marche des nuages et la place de l’observateur, le pâle rayon qui arrive jusqu’à lui filtre à l’une ou l’autre extrémité de l’horizon, il éclaire tel champ, replonge tel autre dans l’ombre.

On est tenté parfois de se demander si tout ce filigrane intellectuel de notre temps n’ira pas rejoindre le byzantinisme et la scolastique. Eux aussi, les esprits subtils de Byzance et de la vieille Sorbonne, ils se flattaient d’avoir trouvé la règle du raisonnement et le chemin de la vérité. Ils devaient considérer avec mépris leurs devanciers, les ignorans qui ne connaissaient pas les lois fondamentales du jeu de la pensée. Tout ce qui s’emprisonnait dans un syllogisme a paru prouvé, comme aujourd’hui tout ce qui s’appuie sur un « document » ou se plie à une interprétation « scientifique. » Nous disons : la cervelle humaine a connu deux passe-temps amusans et puérils, le byzantinisme et la scolastique. Nos arrière-neveux diront peut-être : trois, en ajoutant aux deux premiers la manie critique.

Sans aller si avant dans la conjecture, il est très probable que le grand travail de la fin de notre siècle ou du siècle prochain sera un travail d’élimination. Déjà nous sommes tous d’accord pour souhaiter la venue de l’éducateur compatissant, du bon Rollin qui allégera la masse indigeste de connaissances dont on surcharge nos enfans. Mais pas plus que le cerveau de l’enfant,