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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 111.djvu/170

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ne penche trop vers l’Allemagne ? ne tomberait-on pas alors de Charybde en Scylla ? Les Anglais, en tout cas, l’insinuent. Ils parlent avec dédain de la littérature hollandaise. Ils demandent quel rôle le hollandais joue aujourd’hui dans le monde. — Quel avenir, lisait-on dernièrement dans le Cape Times, peut-on supposer à cet idiome, celui d’une puissance de troisième ordre, que sa grande voisine annexera un beau matin ? Les adhérens de la Ligue du langage répondent que, si van Lennep ne vaut peut-être pas Walter Scott, les romans de Genestet et de Camera se lisent avec plaisir, fût-ce après ceux de Dickens ; que Vondel peut tenir lieu de Shakspeare et de Racine ; que Cats, Bilderdijk, Huyghens, Ten Kate, ne sont pas sans mérite ; que les Flandres ont aussi leurs écrivains, qu’on a même pu traduire en français les œuvres d’Henri Conscience et trouver de nombreux lecteurs. Quant à la prévision du Cape Times, le Zuid-Afrikaan s’en consolait par une autre, assez curieuse. « Soit, disait-il ; nous savons, d’ailleurs, que la Hollande ne désire pas être annexée. Mais admettons un instant qu’Amsterdam, sous le règne de l’empereur Guillaume II, par force ou par ruse, devienne une ville allemande, comme elle devint française sous Napoléon Ier. Qu’arrivera-t-il ? Ceux des Hollandais, — et ce sont les meilleurs, qui préféreront Afrika, l’Afrique, à Mofjrika, comme ils appellent le Prussien, s’embarqueront pour nos pays, où ils trouveront une patrie nouvelle. Cela vaudra mieux que l’immigration du maréchal Booth, chef de l’Armée du salut. »

Dans cette hypothèse, le hollandais jeté à la mer trouverait des compensations en Afrique australe, comme le portugais a conquis un empire au Brésil. Mais c’est plonger ses regards bien loin dans l’avenir, et notre faible vue ne saurait percer tant de voiles.


VIII. — LE PROGRÈS MORAL.

Depuis plus de quatre-vingts ans, la culture anglaise rayonne dans tous les sens au sud-Afrique, avec la langue du yes, et il ne peut pas plus être question d’abolir l’une que de mettre l’autre au rancart. S’enfermer dans un nationalisme étroit, comme le parti « vieux boer » au Transvaal, serait briguer l’honneur d’une infériorité irrémédiable, et cela n’est plus possible, même là ; ou bien cela mènerait à préférer la culture allemande, qui ne demande pas mieux que d’entrer. On ne sauverait pas davantage sa nationalité par ce moyen. L’afrikandérisme veut tout concilier, restaurer la langue hollandaise, sans bannir l’anglaise, développer un patriotisme purement sud-africain, sans lui borner son horizon intellectuel aux limites d’un patois, élever ce sentiment au-dessus des