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l’effrayait le plus, c’était le projet de réformer la maison du roi, réforme ardemment souhaitée par Turgot et à laquelle il devait coopérer. Il n’était pas homme à braver les clameurs et les rancunes des mécontens. Il signifia à Turgot sa volonté très arrêtée de sortir du ministère. Turgot dépensa toute son éloquence pour le retenir ; il consentit à différer son départ, et infidèle à sa promesse, il partit.

Les circonstances favorisaient le premier ministre. Pour obliger Turgot à partir aussi, il proposa de remplacer M. de Malesherbes par M. Amelot, qu’il savait antipathique au contrôleur-général. Cette fois, Turgot releva le gant, il voulut risquer le tout pour le tout ; il écrivit au roi qu’il n’y avait pas de gouvernement possible sans l’unité de pensée et d’action, qu’il lui était impossible de le servir s’il devait trouver dans ses collègues des ennemis occupés à contrarier tous ses plans. M. de Maurepas avait gagné la partie. Il put dire à Louis XVI : « Voilà, sire, deux hommes qu’on vous avait donnés pour les plus vertueux de votre royaume. L’un d’eux vous quitte sans autre raison sinon qu’il s’ennuie de vous servir. L’autre dit qu’il vous quittera si vous ne voulez pas suivre en tout ses vues. Il est clair que le second n’est qu’un ambitieux et que ni l’un ni l’autre n’ont pour vous une véritable affection. » Turgot fut renvoyé, « et les projets d’amélioration et de réforme rentrèrent dans la classe des beaux rêves qu’une secousse imprévue anéantit par un triste réveil. » Louis XVI avait encore moins que Charles-Frédéric le tempérament d’un réformateur.

Une société fondée sur des privilèges et rongée des vers n’avait pas voulu se laisser réformer ; le malade, préférant ses maux à ses médecins, n’avait pas souffert qu’on le traitât ; il ne lui restait qu’à mourir. La révolution parvint à créer-une société nouvelle, mais elle ne réussit pas à lui donner, un gouvernement. Désormais le paysan révolutionnaire voulait être gouverné ; ayant obtenu ou pris tout ce qu’il avait désiré, la maison lui plaisait, il se plaignait seulement qu’elle n’eût pas de toit. On lit dans une lettre que, le 15 mars 1796, Dupont adressait à un de ses amis badois : « Le directoire est à la veille de sa chute. La Révolution elle-même menace ruine. Qui que ce soit n’imagine plus que l’on puisse maintenir la France en république. Mais comme il n’y a parmi les royalistes ni chefs, ni ralliement, ni hommes à millions, ni centre de doctrine, et qu’au dehors on ne voit aucun point d’appui, on fera roi le premier qui se présentera… Si le bourreau peut promettre appui, sûreté, tranquillité, on lui donnera le trône. » On n’eut pas besoin de recourir au bourreau ; Dupont n’avait pas deviné l’en-cas miraculeux que les destins réservaient à la France. Comment l’eût-il deviné ? Il écrivait sa lettre quelques semaines avant Montenotte, quelques mois avant Rivoli.


G. VALBERT.