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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 111.djvu/227

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dans la vieille église nous avons goûté des joies austères, mais profondes. C’est que d’abord les conditions de milieu, si nécessaires, nous le disions l’autre jour à propos de Parsifal, se trouvaient là naturellement respectées et réunies. Voilà comme il faut entendre la musique sacrée : non-seulement à l’église, mais accompagnant les offices de l’église, pour lesquels elle a été composée. Au spectacle des cérémonies, il est bon de joindre aussi la lecture des textes : elle importe à l’intelligence des chants religieux non moins que des chants profanes ; sans compter qu’il y a plus de poésie et d’émotion dans la liturgie de la semaine sainte que dans tout le répertoire de l’Opéra et que les plus beaux livrets du monde ne vaudront jamais les livres saints.

Les œuvres que nous avons entendues appartiennent pour la plupart à la grande école italienne issue au XVIe siècle avec Palestrina, de l’école franco-flamande. Sauf trois ou quatre pages de Josquin des Prez, Roland de Lassus et Sébastien Bach, toute la musique exécutée à Saint-Gervais est italienne et peut-être, en l’écoutant, quelques-uns de nos esprits forts auront-ils enfin reconnu que tout l’art ultramontain ne se réduit pas à Linda de Chamonix et à la Somnambule.

Un premier point, fort intéressant et sur lequel ce concours de vieux maîtres a jeté une vive lumière, c’est la formation et le développement de la mélodie. Avant Palestrina et chez lui-même, on ne rencontre guère ce que nous appelons aujourd’hui mélodie, c’est-à-dire une phrase définie, rythmée et chantante, une suite et comme une ligne de sons, divisible en périodes régulières et presque symétriques, parfaitement séparable des autres parties qui l’accompagnent : quelque chose, par exemple, comme le Voi che sapete, de Mozart. Au XVIe siècle, rien n’annonce encore cette personnalité de la mélodie, cette hiérarchie du chant et de l’accompagnement. Dans une messe de Palestrina, dans un répons de Vittoria, dans le Crucifixus de Lotti (et ces trois noms enferment près de deux siècles), toutes les parties chantent et accompagnent à la fois, toutes sont égales en importance et en expression ; jamais, ou presque jamais, il ne résulte un effet principal d’une phrase qui ressort ni d’une voix qui domine, mais un effet général de plusieurs voix coopérant à des accords harmonieux. Pas plus que la mélodie, le rythme n’est très saisissable, parce qu’il est très uniforme ; le mouvement d’un morceau, lent ou rapide, une fois établi, il est rare que rien vienne rompre l’égalité des valeurs et par suite l’isochronisme des sons.

Il a suffi d’entendre le mercredi et le jeudi saints deux motets de Bach pour juger du progrès ou du changement accompli par le maître de Leipzig. Si grand harmoniste que fût Bach, il a semblé l’autre jour un mélodiste au regard de ses devanciers. C’est lui qui condensa