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la mélodie éparse dans les harmonies italiennes ; lui qui vint préciser et mettre au point les formes sonores qui flottaient et tremblaient avant lui.

Tandis que sur l’assistance recueillie, plus d’une fois émue, planaient tant d’accords austères, nous nous reportions par le souvenir à l’époque où, pour la première fois, ils ont retenti. On sait, et plusieurs d’entre nous l’ont rappelé justement à propos de ces offices, en quelles conjonctures cette musique est née. L’œuvre de Palestrina, le grand réformateur, fut tout ensemble une œuvre de simplification et de purification. La musique sacrée, quand il parut, se mourait par excès de science et par défaut de foi. Des chansons populaires, bachiques ou gaillardes, servaient de thèmes à d’inextricables polyphonies ; la messe se chantait en canon croisé, renversé, sur l’air de l’Homme armé, ou d’autres plus profanes encore, et dans les offices de l’Église on retrouvait à la fois toutes les règles de l’école et toutes les libertés de la rue. Les papes et les conciles s’inquiétèrent ; ils allaient sévir, mais Pier Luigi descendit des montagnes de Sabine et, en 1565, la messe dite du pape Marcel sauva l’art religieux de la scolastique et de l’impiété.

La date de cette musique en justifie assez les caractères dominans : l’austérité et la tristesse. On était alors en pleine réaction contre la renaissance. L’Église, après l’avoir protégée, la désavouait en se frappant la poitrine ; le demi-siècle écoulé depuis la mort des Léonard et des Raphaël avait assombri l’Italie, et le sourire se retirait de la face du monde. Le vieux Michel-Ange venait de mourir et ses dernières œuvres attestaient la sévérité de ses visions suprêmes. En 1512, il avait peint, au plafond de la Sixtine, Dieu qui crée et donne la vie ; en 1541, sur la muraille, Dieu qui punit et réprouve. Les Paul III et les Grégoire XIII succédaient aux Jules II et aux Léon X ; les congrégations remplaçaient les académies. Les pontifes s’étaient assis un moment aux banquets ; comme leur maître à Cana, ils avaient changé en vin l’eau pâle et froide si longtemps versée par le moyen âge aux pauvres lèvres humaines ; mais de leur propre miracle ils s’étaient enivrés les premiers. La rude voix de Luther les réveilla. Ils aperçurent le péril, et pour le conjurer, ils voulurent remettre les arts sous l’inspiration et l’autorité de la foi.

À cette grave discipline, la musique se soumit plus docilement que les autres arts ; plus jeune et par conséquent plus flexible, elle fut religieuse, canonique même, sans révolte et sans écarts, sans jamais hasarder, comme la peinture de Venise par exemple, une interprétation mondaine ou profane des dogmes et des récits chrétiens. La musique retarde de cent ans au moins sur la peinture ; le XVIe et le XVIIe siècles seulement lui donnèrent ses primitifs, ses fra Angelico et