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ecclésiastique ; nul récit des transformations qui ont conduit le droit public et privé, à Rome, jusqu’au Digeste, puis de là, en France, jusqu’aux nouveaux codes ; rien sur les origines lointaines, sur les formes successives, sur les conditions diverses et changeantes du travail, de la propriété et de la famille ; rien pour faire voir et toucher, à travers la loi, le corps social auquel elle s’applique, c’est-à-dire tel groupe humain et vivant, avec ses habitudes, ses préjugés, ses instincts, ses dangers et ses besoins ; rien que deux codes secs et rigides comme deux aérolithes tombés du ciel tout faits et tout d’une pièce, à quatorze siècles d’intervalle : d’abord les Institutes, « en retranchant[1]ce qui n’est pas applicable à notre législation et en remplaçant ces matières par le rapprochement des plus belles lois répandues dans les autres livres du droit romain, » à peu près comme dans les classes d’humanités, où l’on réduit la littérature latine aux beaux passages des auteurs classiques ; ensuite le code français commenté par la jurisprudence des cours d’appel et de la cour de cassation. Tous les cours de l’école seront obligatoires et disposés ensemble ou bout à bout dans un ordre obligatoire ; tous les pas de l’étudiant seront comptés, mesurés et vérifiés, chaque trimestre par une inscription et chaque année par un examen ; dans ces examens, il n’y aura point de matières facultatives ; aucune évaluation n’y sera faite des études collatérales et des valeurs complémentaires ou supérieures. L’étudiant ne trouve aucune invitation ou profit à étudier au-delà du programme, et, dans ce programme, il ne trouve que les textes officiels, expliqués par le menu, un à un, avec subtilité, et raccordés tant bien que mal, au moyen de distinctions et d’interprétations, de manière à fournir la solution convenue dans les cas ordinaires et une solution plausible dans les cas litigieux, en d’autres termes une casuistique[2].

Et voilà justement l’éducation qui convient à de futurs praticiens. « Il faut, disait un célèbre professeur sous le second empire[3], il faut à nos jeunes élèves un enseignement qui leur permette de passer de l’école au palais sans perplexités ni découragement, » d’avoir sur le bout des doigts les 2,281 articles du code civil, et les autres, par centaines et milliers, des quatre autres codes, de trouver tout de suite à propos de chaque affaire le réseau des articles pertinens, la règle générale, ni trop large, ni

  1. Décret du 19 mars 1807, articles 42, 45.
  2. Courcelle-Seneuil, Préparation à l’étude du droit (1887), p. 5, 6 (sur l’enseignement du droit à la Faculté de Paris).
  3. Léo de Savigny, ibid., p. 161.