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liberté dans l’observation et l’analyse des colorations naturelles, il ne faudrait point perdre l’intelligence, plus nécessaire encore, de la solidité des choses et de la vérité des formes. Par suite de cette réconciliation contemporaine de la figure avec le paysage, nous en sommes revenus, sans nous en douter, à la reconstitution de l’école du paysage historique, cette école, au dire des romantiques, si factice et si ennuyeuse, et qu’on croyait avoir enterrée, bien qu’au fond de son âme, doucement ironique, le papa Corot ait toujours su à quoi s’en tenir là-dessus. Le Salon des Champs-Elysées, comme celui du Champ de Mars, est rempli de paysages, plus ou moins composés, dans lesquels se marque, d’une façon très nette, la poursuite d’un accord expressif et poétique entre l’entourage lumineux et les personnages, grands ou petits, réels ou imaginaires, qui s’y meuvent. Ce n’était vraiment pas la peine de dire tant de mal de Nicolas Poussin et de Claude Lorrain pour en revenir au même point qu’eux par un autre chemin. Garons-nous, mes amis, garons-nous, en tout temps, des systèmes absolus, des formules tranchantes, de l’intolérance et des excommunications !

Le paysage, c’est donc entendu, entre, pour une bonne part, dans une quantité d’études plastiques, religieuses, mythologiques, historiques, et nous sommes bien éloignés de nous en plaindre ; mais, nous le répétons, il n’est pas bon qu’il dévore tout. Or, n’est-ce pas ce qui arrive, dans certaines compositions, où la figure humaine, tenant proportionnellement la plus grande place, semblerait devoir logiquement jouer le rôle prépondérant et où elle se fond au contraire et s’évanouit dans une expansion excessive de lumière ? Les femmes nues que M. Raphaël Collin fait danser, dans une lueur d’aurore, sur la plage Au bord de la mer, ne satisferaient-elles pas autrement nos yeux si elles étaient d’aspect moins grêle et de constitution moins diaphane ? Les délicates analyses dans les modelés des chairs auxquelles se complaît M. Collin ne seraient pas moins appréciables si elles s’exerçaient sur des corps plus vivans et plus solides ; il est à craindre que cette peinture, si mince, toute en superficie, ne s’efface tout à fait en quelques années. Devant le portrait de jeune femme, en toilette d’été, qu’expose encore M. Raphaël Collin, œuvre fine et distinguée, n’éprouve-t-on pas quelque malaise à sentir si peu de corps sous ces souples étoiles ? Plus la toile s’agrandit, plus cette pauvreté de facture devient choquante. Une pareille sensation de contraste pénible entre la grandeur des choses et la petitesse du faire nous saisit encore devant une vaste peinture, moins brillante et moins séduisante, mais où l’on constate de sérieux efforts, les Tusculanes de M. Lebayle. Quel beau thème pourtant pour un paysagiste