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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 111.djvu/626

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vivement accentués, tiennent petite place dans une nature tourmentée et éclairée à l’unisson de leurs souffrances et de leur désespoir, est un type du paysage historique. C’est dans la même catégorie qu’il faut ranger l’Abel de M. Demont-Breton, délicieuse étude d’horizons accidentés à laquelle le filet de fumée, montant du sacrifice auprès duquel gît le cadavre de l’adolescent assassiné, donne un caractère de solitude lamentable, la Douleur d’Orphée de M. Foreau qui, par ce début, se montre un digne élève de MM. Harpignies et Merson, le Saint Martin de M. Lagarde, donnant la moitié de son manteau à un pauvre grelottant, par un temps de neige, sur un quai désert. De ces trois peintures, où l’harmonie entre le caractère des figurines et le caractère du paysage est établie avec goût, se dégagent des impressions fort poétiques.

Les figures tiennent plus de place dans les rêveries esthétiques de M. Fantin-Latour, Hélène, Prélude de Lohengrin. Figures et paysage, à vrai dire, procèdent plus des maîtres de la renaissance que de la nature, mais le dilettantisme de M. Fantin-Latour, ami de Corrège, est, par instans, délicat et savoureux. Dans le Guêpier, de M. Bouguereau, il n’y a de rustique que le titre. Les guêpes y sont des amours, vifs, taquins, agressifs ; la belle fille nue, sœur de Vénus, une Vénus elle-même, qui a mis le pied dans le tas, se défend gaîment, sans aucun effroi, contre ces assaillans. Cette idylle anacréontique, par la grâce aisée de la composition, fait penser à certaines fresques de Pompéi ; un peu plus de simplicité dans l’exécution lui donnerait encore plus de charme. Ce joli morceau montre combien M. Bouguereau se meut toujours plus librement dans le monde antique que dans le monde moderne. Là le sentiment de la beauté le soutient et l’anime, et il s’y préserve beaucoup mieux des mièvreries doucereuses que dans les idylles modernes. La recherche de la beauté, saine et calme, telle que l’antiquité et la Renaissance l’ont comprise, telle qu’elle éclate encore au milieu des laideurs maladives de la vie contemporaine, se retrouve encore dans quelques études sérieuses, une Fille d’Eve, par M. Jules Lefebvre, couchée dans une attitude difficile, la Myrrha, de M. Loewe-Marchand, dessinateur un peu sec, mais précis et des plus attentifs. L’étude de femme, vue de dos, charnue et dodue, devant son miroir, par M. Lucien Doucet, n’a point son élégance accoutumée, ni dans les formes lourdes et épaisses, ni dans la coloration, triste et vineuse ; c’est néanmoins d’une savante exécution. La Baigneuse, de M. Thys, et Dans les Thermes de Rome, par M. Balmer, sont encore des études distinguées.