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phrase nous donne plus d’une leçon. Elle nous avertit qu’un jour viendra, qui n’est pas loin peut-être, où, pour nous plaire au théâtre, il faudra de nouveau compter sur la voix ou du moins compter avec elle. Elle nous avertit encore, l’adorable complainte, que le drame lyrique ne doit pas s’aller perdre dans la symphonie et que, si la polyphonie instrumentale est une admirable chose, c’est un miracle aussi que la puissance ou la douceur d’un cri ou d’un soupir humain.

D’une partition aussi touffue, il faut louer quelques détails encore : au premier acte, le chœur des prêtres de Tanit et surtout l’apparition de Salammbô ; au quatrième acte, dans le duo de la tente, une phrase de Mâtho, vraiment enchanteresse. Mais ce qu’il y a peut-être de plus beau dans la nouvelle œuvre de M. Reyer, c’est la principale interprète. Mme Caron n’eut jamais autant de noblesse, d’étrangeté, de mélancolie profonde, de dignité sacerdotale et royale. Tout s’accorde en elle merveilleusement : les gestes, la démarche, le visage, le regard, le sourire et la voix ; c’est une harmonie vivante, un accord parfait, que cette rare créature. M. Saléza (Mâtho) manque un peu de puissance vocale, mais non d’intelligence, ni de charme, ni de tendresse. Il se garde des cris et de la brutalité ; c’est un ténor chantant et non hurlant. M. Vergnet a dans la voix quelque chose d’aussi pur, d’aussi mélancolique que le clair de lune dont il est le grand-prêtre. En deux rôles sévères, M. Renaud est bon et M. Delmas meilleur encore. L’orchestre a joué comme il joue quand il le veut et qu’on le veut. Les décors sont fastueux, et l’escalier du dernier acte a fait sensation.


CAMILLE BELLAIGUE.