Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 111.djvu/722

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

violemment selon le souffle du jour, la Grèce en est depuis quelque temps un curieux exemple. Le coup de barre donné par le roi George avait décidé un changement de direction dans la politique hellénique, les élections récentes viennent de compléter l’évolution en sanctionnant l’acte sommaire du souverain de la Grèce. Il y a trois mois à peine, M. Delyannis, l’heureux rival de M. Tricoupis, semblait être pour le moment un premier ministre inexpugnable. Il avait été porté au pouvoir il y a moins de deux ans par un mouvement électoral en apparence irrésistible ; il avait une majorité dévouée dans le parlement. Rien ne faisait présager un prochain orage, lorsque tout d’un coup éclatait à Athènes une crise extraordinaire. Cette crise était-elle provoquée par des raisons politiques ou par des raisons financières ou par des motifs encore peu connus, par d’intimes incompatibilités entre le souverain et son premier ministre ? Toujours est-il que du soir au lendemain le roi George se décidait à frapper son ministère d’une brusque révocation qui avait un faux air de coup d’État et à donner pour successeur à M. Delyannis M. Constantopoulo, le chef d’une sorte de tiers-parti hellénique. Cette révolution ministérielle, décidée à l’improviste, ne se passait pas naturellement sans agiter bien des passions, sans provoquer des incidens presque révolutionnaires à Athènes, et le nouveau cabinet ne se trouvait certes pas dans une position facile entre les partisans de M. Delyannis qui exhalaient leur irritation, et les amis de M. Tricoupis qui triomphaient de la disgrâce de leur puissant adversaire. Dans tous les cas, le ministère improvisé de M. Constantopoulo ne pouvait se faire illusion et songer à prolonger indéfiniment une situation aussi troublée. On ne pouvait sortir de cette crise que par un appel nouveau au pays : c’est précisément l’objet de ces élections qui viennent de s’accomplir au milieu des passions et des agitations des partis, dont les chefs, M. Delyannis, M. Tricoupis, ont promené leurs programmes à travers la Grèce.

La lutte a été certainement vive. Le ministère sorti de la dernière crise a essayé de faire figure et de lever son drapeau dans cette mêlée. Le chef du cabinet, M. Constantapoulo, le ministre des affaires étrangères, M. Meletopoulo, ont tenu à prouver qu’ils prenaient leur rôle au sérieux, et ont prononcé, eux aussi, des discours électoraux ; ils ont fait leurs programmes et leurs manifestes. Ils ont même parlé mieux que d’autres, ils se sont efforcés de représenter la prudence, la modération, l’esprit de transaction ; mais, en réalité, c’est entre le parti de M. Delyannis et le parti de M. Tricoupis que le vrai combat était engagé, et ce qui aggravait encore cette lutte, c’est que la royauté elle-même se trouvait visiblement en cause. On ne pouvait s’y tromper en effet. Il était bien clair que, si M. Delyannis retrouvait ses électeurs d’il y a deux ans, s’il réussissait à rentrer triomphant avec sa majorité au parlement, c’était un échec humiliant pour le roi, une menace pour