Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 111.djvu/723

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la dynastie, — et M. Delyannis lui-même, du reste, n’a pas déguisé l’âpreté de ses ressentimens dans ses discours passablement révolutionnaires. M. Tricoupis, pour sa part, ne pouvait que tirer avantage de ce danger éventuel attaché à un succès de M. Delyannis, et il avait de plus, à ce qu’il semble, la faveur secrète du souverain. M. Tricoupis n’avait point d’injure personnelle à venger ; il s’est borné à promettre beaucoup dans ses discours. On s’est échauffé, on a péroré, on est allé au combat tricoupistes contre delyannistes. A travers tout, le peuple grec, avec sa finesse de vieille race, a vu sans doute que M. Delyannis n’était plus l’homme du jour, qu’entre les deux chefs de partis qui se disputaient ses suffrages, le meilleur était encore celui dont le succès écartait toute chance de conflits intérieurs, de complications dynastiques. Le fait est que le résultat du scrutin, sans être absolument imprévu, a dépassé tous les calculs. M. Delyannis a essuyé une défaite complète. Il n’est plus que le chef impuissant d’une petite minorité dans la chambre nouvelle. M. Tricoupis, désavoué et abandonné il y a moins de deux ans par l’opinion, retrouve au contraire une victoire signalée ; il a réussi à reconquérir une immense majorité. C’est le sort des scrutins ! Quant au ministère, il a à peu près disparu dans la mêlée. M. Constantopoulo n’avait plus qu’à céder la place à l’heureux triomphateur, M. Tricoupis, et ce serait déjà fait sans doute si le roi George et sa famille n’étaient partis pour aller assister à un anniversaire de famille à Copenhague.

Dès ce moment, cependant, M. Tricoupis peut être considéré comme le premier ministre désigné par le vote populaire, accepté par le souverain. S’il ne l’est aujourd’hui, il le sera demain, au retour du roi et à la réunion prochaine du parlement. Ce n’est pas que toutes les difficultés soient vaincues. M. Tricoupis a certainement devant lui une tâche épineuse ; il a d’abord et avant tout à reprendre l’œuvre que M. Delyannis n’a pas pu réaliser. Il aurait à relever, à raffermir les finances grecques, toujours menacées d’une sorte de banqueroute, suite inévitable de la diminution des ressources et de l’accroissement des dépenses ; mais pour accomplir cette œuvre nécessaire, M. Tricoupis n’est peut-être pas dans les meilleures conditions. Il représente plus que tout autre ce qu’on appelle la politique du panhellénisme. Récemment encore, s’adressant à des délégations de l’Épire et de la Macédoine, il parlait avec tout l’orgueil des ambitions nationales impatientes. Il est le chef de l’irrédentisme hellénique, le plus éloquent promoteur de l’idée d’extension, d’agrandissement national pour la Grèce. Il rêve un empire grec, une transformation de l’Orient, — rêve aussi coûteux que périlleux, — et ce n’est sûrement pas avec cette politique disproportionnée, l’Italie le prouve de son côté, qu’on peut relever les finances d’un pays obéré. Heureusement, M. Tricoupis, en revenant au pouvoir, n’est pas près sans doute de