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intelligible et supportable. » — Nous sommes d’accord ; et pourtant, si nous allons au fond des pensées, je crains bien qu’une fois de plus notre accord soit tout de surface. Certes, je ne ferai pas à l’écrivain chrétien l’injure de croire qu’il appelle au secours des intérêts le catéchisme-gendarme ; mais quand il attend de ce livre l’enseignement de « la résignation » au prolétaire, j’entends un prolétaire le prendre à partie. — « Le catéchisme ! l’Évangile ! vous me la baillez belle ! Avant toutes choses, l’Évangile conseille au riche de se dépouiller en faveur d’autrui. Je ne demande pas cette perfection de sainteté. Mais vous conviendrez du moins que l’Évangile et le catéchisme commandent la résignation à tous, sans distinction. Qui doit se résigner à ne point posséder, vous ou moi ? Qui doit se résigner, moi à ne pas entrer, ou vous à sortir ? L’Évangile ne le dit pas ; et si le catéchisme me défend le vol, il ne m’interdit pas de désirer, de préparer les transformations historiques les plus radicales : tradidit disputationibus. Il prescrit la soumission au maître, au légitime possesseur. Si j’ai, comme je le crois, la force politique, si je puis faire demain des lois économiques à ma convenance, je serai légalement le maître, le légitime possesseur. Vous soumettrez-vous ? Et d’ailleurs, puisque le ciel vous paraît de si grand prix, résignez-vous plus fort que moi, résignez-vous le premier, votre part là-haut sera plus belle. » — Chacun devine tout ce que le prolétaire pourrait ajouter ; je vois mal ce qu’on pourrait lui répondre. Le rôle du catéchisme-gendarme est bien fini ; si l’on y compte encore, mieux vaut chercher autre chose. L’admirable livre n’est pas un instrument de fixation sociale ; il est en tout temps une école de résignation pour le faible, de modération pour le fort. Si le faible d’aujourd’hui doit être le fort de demain, il faudra intervertir les applications qui nous agréent présentement. Sinon, le peuple ne verra dans votre prédication qu’une hypocrisie, un instrument de règne, une religion à faux poids ; il continuera de s’y montrer rebelle.

Je me suis attardé aux deux chapitres essentiels de cette histoire. C’est qu’en plus de leur intérêt historique, ils présentent un intérêt actuel. On a signalé maintes lois le parallélisme entre la classe dirigeante qui s’éleva après 1830 et celle qui s’est élevée depuis 1880, entre les problèmes,, les erreurs et les courans d’idées de ces deux époques. Il y aurait puérilité à forcer les ressemblances ; il y aurait aveuglement à les méconnaître.


III

Le dernier volume nous fait assister à l’ébranlement subit et à la chute de la maison : campagne des banquets, session de 1848,